Lourd héritage à assumer, Blonde Redhead s'en sort avec les honneurs.
Blonde Redhead… S’il existe un panthéon de la musique indé, ils en font sans nul doute parti. Fort d’un sens de la mélodie noisy incomparable, les New-Yorkais ont parsemé, sur ces 20 dernières années, de véritables bijoux intemporels tels que « La Mia Via Violenta » ou encore « Misery Is Butterfly ». Ces multiples chefs d’oeuvre ont depuis conféré au trio une image d’intouchables, de valeur étalon de l’esthétique indé. Bien entendu, un tel statut ne prémunit pas le groupe de décevoir, bien au contraire. Et l’événement d’un nouvel album devient d’autant plus excitant, surtout après un « Penny Sparkle » qui ne fut sans doute pas la pièce la plus envoûtante de leur discographie.
La surcharge de sonorités numériques du prédécesseur de « Barragán » laissait entrevoir un virage (définitif?) de Blonde Redhead vers d’autres cieux moins propices à laisser leur originalité s’exprimer. L’arpège et la flûte qui introduisent le premier titre, éponyme, nous rassurent d’entrée. On retrouve la classe épurée et les dissonances qui auront fait l’identité des trois compères. L’ensemble de l’album est marqué par ce retour aux déviances mélodiques. Celles-ci sont par contre beaucoup plus structurées, nous irons jusqu’à dire plus lissées, et « Barragán » prend alors les allures du fameux « album de la maturité ». C’est bien son principal, et seul, défaut : chaque titre, malgré sa beauté indéniable, manque de cassure, la cassure qui aura fait de « Misery Is Butterfly » l’une des plus grandes claques de ce dernier quart de siècle, cette espèce d’acidité, de rudesse qui nous transportait aux confins d’un mysticisme jusque-là inconnu. La métaphore est toute trouvée, quand Misery nous évoquait un paysage écossais brumeux, froid, au bord de rochers martyrisés par les vagues et le vent syncopés, Barragán sonne comme l’esprit d’un vieux marin de ces contrées, fatigué, dont l’expérience vaut de l’or, mais à qui le temps aura terni un peu de sa sauvagerie.
Ceci étant dit, cette maturité artistique comporte aussi son lot de réjouissances, et enchantera même tout un public jusque-là encore non conquis. La voix de Kazu Makino est beaucoup plus maîtrisée et le travail sur les arrangements est certainement le plus méticuleux que le groupe ait réalisé à ce jour. Aussi quelques vrais tubes en puissance, tels que l’improbable Daft Punkien Dripping, nous offrent des portes d’entrée plus abordables dans l’univers riche de Blonde Redhead. Bien entendu, tout cela se fait sous le sceau de la froideur mélancolique sans laquelle il leur faudrait une nouvelle déclinaison marketing tant ils renieraient des années de composition.
Tout ceci fait de « Barragán » un retour aux sources, à l’âme de Blonde Redhead qui avait entrepris avec « 23 » et « Penny Sparkle » d’aller chercher un nouveau souffle. Retour aux sources, aux instruments purs (avec quelque incartades tout de même), qui n’a pas la puissance des débuts, et ce avant tout par intégrité artistique des membres du groupe. Ceux-ci nous offrent au final une nouvelle étape, plus apaisée et sereine, de leur art de composer, et s’il est bien un élément invariable de leur don, c’est bien encore une fois la beauté de ces dix nouveaux titres et l’attachement à créer un climat, une atmosphère inimitable.
S’il ne devait en rester qu’un titre : The One I Love.
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- Publication 1 011 vues11 septembre 2014
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