Second album de Cigarettes After Sex et déjà le défi de la durée.
La sortie du premier album de Cigarettes After Sex en 2017 était en quelque sorte la rencontre du nouveau et de l’ancien monde, comme dirait l’autre. Car son intérêt ne consistait pas à savoir si la petite troupe de Greg Gonzalez méritait des louanges ou des reproches puisque le groupe avait déjà réussi à forger son « mythe » en devenant un phénomène quasi-viral sur YouTube sur la foi de deux titres alors qu’ils s’échinaient en vain depuis plusieurs années à retenir l’attention sans trop y réussir. Ce succès typique des nouveaux modes de diffusion et de consommation de la musique aurait pu pousser Cigarettes After Sex à poursuivre dans la même voie mais le groupe a finalement décidé de se plier à l’exercice du format que certains voudraient voir disparaître mais reste toutefois un juge de paix pour asseoir une crédibilité artistique, l’album. Mais, si ce premier album n’était pas à proprement parler un album-concept, c’était l’occasion, pour Greg Gonzalez, d’installer sa musique et sa raison d’être en tant que concept, justement. Le nom du groupe est à prendre au premier degré et la musique du groupe est destinée à servir d’écrin aux récits amoureux et sexuels de Greg Gonzalez. A cela s’ajoute un autre défi que s’est fixé le leader de la troupe : écrire un album qui ne serait qu’une longue variation sur le même thème, avec toujours le même tempo, les mêmes accords de guitare vaporeux, le même chant androgyne, languide et caressant.
Force est de le reconnaître, pour peu qu’on se soit laissé prendre dès le départ dans les filets de cette musique qui cajole, au risque de faire papier peint par moments, que le pari du premier album était tenu avec mention bien, et on ne retenait pas les inévitables moments où l’ennui pointait son nez. A l’heure du second album, Greg Gonzalez n’est en rien disposé à revoir ses principes et part du postulat qu’il peut en remettre une couche, voire deux. Sur « Cry », c’est donc reparti pour 40 minutes de récits de rencontres qui finissent inéluctablement à l’horizontale et chaque coup de rein se fait en souplesse, avec la même voix douce et enveloppante, le même tempo tranquille. Sachant que tout effet de surprise est exclu, que la musique de Cigarettes After Sex a tout de même un côté décoratif, d’où pouvait surgir l’étincelle prompte à susciter un véritable emballement pour « Cry » ? En l’état actuel des choses, de nulle part. L’album ne donne donc pas de boutons, ne provoque pas de revirement spectaculaire qui nous ferait pousser des cris d’orfraie ou aligner les qualificatifs désobligeants et, de manière isolée, quand les mélodies, dans leur subtiles nuances, sont les plus inspirées, « Cry » est plaisant. Au tableau d’honneur, on mettra Kiss It Off Me, Touch et Cry. Mais, dans sa globalité, le charme n’opère pas.
Evidemment, certains diront que c’était prévisible, ou que ce n’est pas maintenant qu’il faut se lasser après s’être montré bienveillant il y a deux ans. Ce n’est pourtant pas tout à fait vrai. On se rappelle en effet qu’il y a deux ans, Greg Gonzalez avait déclaré avoir été motivé par l’écoute de « So Tonight That I Might See » de Mazzy Star pour se lancer dans l’écriture d’un album parce que ce disque prouvait précisément qu’il était possible de faire un album qui soit tel une longue et même chanson étirée sur 40 ou 50 minutes. Or, en allant plus loin, on pourrait dire que Hope Sandoval, chanteuse de Mazzy Star mais pas seulement, fait exactement la même chose depuis près de 30 ans avec un succès (presque) toujours renouvelé. En effet, pour elle, pas question de pousser sa voix superbe, de varier les tempos. Alors si elle réussit à étirer sa formule depuis tant d’années, pourquoi Cigarettes After Sex devraient-ils forcément apparaître au bout de leur concept au second album ? La différence majeure, c’est que Hope Sandoval, au fil des années, a multiplié les collaborations (les frères Reid de Jesus&Mary Chain, Kurt Vile, Chemical Brothers…), pour son compte ou à l’occasion d’albums d’autres artistes. Et si elle a toujours imposé son tempo (au sens propre et figuré), ses différents collaborateurs lui ont offert un contrepoint, une autre approche sonore… Dans le cas de Greg Gonzalez, qui joue ce rôle ? Certainement pas ses musiciens qui n’ont visiblement pas leur mot à dire. Bref, Greg Gonzalez n’a d’autre horizon que celui qu’il s’est fixé et, s’il persiste à enchaîner les récits autobiographico-érotiques avec la même constance monotone, il finira par nous faire croire qu’il tire en fait son inspiration de ses longues journées solitaires passées sur PornHub. Ce qui serait quand même dommage.
- Publication 2 064 vues21 novembre 2019
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