Exploration d'une « Géographie du vide », manifeste poétique et musical comme seul Hubert-Félix peut en signer.
Hubert Félix Thiefaine, HFT pour l’intime de son public, est de ces artistes qui cultivent autant la discrétion que l’élégance. Véritable ovni dans le paysage musical actuel, il est de ceux qui remplissent les salles et désertent les ondes.
7 ans que son public attendait son retour en studio. 7 années depuis la « Stratégie de l’Inespoir ». Et enfin en mai 2021, le silence s’est brisé, avec la publication de la sublime chanson Page Noire.
Ce titre mélancolique et caractéristique de la poésie du jurassien semblait prophétiser un adieu, et pour certains même, être son « Blackstar » en version Thiéfaine, d’autant plus persuadés au visionnage du clip, où le buste statufié de Thiéfaine se réagrège, saigne et finalement explose. La boucle semble allégoriquement bouclée.
Et puis voilà que paraît « Géographie du vide » dont le titre d’ouverture vient tout bousculer. L’animal une fois encore se réinvente, malmène nos repères dans ces nouveaux territoires qu’il nous propose. Dès le premier titre le ton est donné, Du Soleil Dans Ma Rue, balade lumineuse et pop aux arrangements qui rappellent le Thiéfaine plus illuminé de « De l’Amour de l’Art Ou du Cochon ». Lui qui proposait un rock plus rugueux s’ouvre à une nouvelle lumière, où les arrangements légers, aériens signés de son fils Lucas viennent éclabousser sa mélancolie sombre.
Si bien que pendant que les 9 titres glissent dans les oreilles, l’auditeur se laisse promener dans ce nouveau paysage mais retrouve ça et là des repères balisés qui rassurent et permettent de continuer l’exploration de cette nouvelle géographie du plus poétique des chanteurs. La terre n’est pas totalement inconnue, car quel que soit l’habillage qu’il présente, le bonhomme reste fidèle lui-même.
En témoigne Nuits Blanches, où sous des habits électroniques se découvre un de ces magnifiques poèmes – cadavres exquis dont il a le secret, et qui ravissent son public.
« Parfois dans les lueurs des nuits blanches et hostiles
Lorsque j’entends gémir les moisissures du temps
Et qu’à travers mes tristes pensées se faufile
Le jeu des fantaisies de mes féeries d’enfant »
Dans les repères qui rassurent, on trouve aussi la chanson à chiffre sans laquelle un album de Thiéfaine ne saurait être complet, ici la sublime ballade gothique Fotheringhay 1587 endosse magnifiquement ce rôle pour raconter les derniers jours de Mary Stuart, reine et poétesse au destin tragique.
« En ma fin
Gît mon commencement
Mon chemin
Traverse le temps
L’horreur aussi, parfois rend le cœur aride
J’envie ta survie »
Cette errance poétique et musicale dans la « Géographie du vide » du jurassien s’accompagne de ses questionnements sur le monde qui l’entoure : Eux , L’Idiot Qu’on a Toujours Eté notamment. Lui qui critiquait la médiocratie n’épargne pas la société dans laquelle il évolue et à laquelle il reproche « un vide d’humanité, de fraternité de poésie et d’amour ». Ce même vide qu’il entend combler depuis plus de quarante années, et dont chaque album offre son lot de poésie, de partage et de mélancolie solaire. Car n’en déplaise à ses détracteurs, HFT n’est pas qu’un auteur sombre, il est capable de ce genre de fulgurances, de tristesse souriante et aussi de beauté pure, en témoigne chacune des ses odes aux femmes qu’il a croisées ou imaginées.
L’album se ferme sur Elle danse, sublime hommage à une femme qui danse sa vie, ses blessures, qu’on imagine aérienne, solaire, et évidemment magnifique dans qui elle est, et ce qu’elle exprime. Un homme chante, une femme danse, et les deux se répondent à leur manière.
« Elle danse sur des ombres effacées
Sur des adresses oblitérées
Elle danse sur des noms périmés
(…)
Elle danse en attendant l’hiver
Les heures de glace à fleur de pierre
Elle danse, commandant son enfer
Elle danse »
Elle danse et il nous emporte avec eux, avant de nous déposer dans le silence qui suit le dernier titre. Comme votre cavalier vous dirait merci pour ce tour de piste, et vous laisse étourdie, légère et émue. Alors prend-on seulement la mesure de ce cadeau qui vient de nous être fait, peut-être le dernier, que c’est « une longue longue nuit qui commence », tant les références à sa discographie passées emmaillent ce dernier opus, comme si le jurassien nous offrait un résumé de ses talents, en invitant à replonger dans la riche et dense discographie passée, pour combler ce silence et ce vide qui inexorablement nous attendent.
« À quoi bon m’efforcer de chanter comme Orphée / Maintenant qu’Eurydice ne me fait plus bander? » qui rappelle Orphée Nonante Huit in la « Tentation du Bonheur » (1996) ,et Eurydice Nonante Sept in « Le Bonheur de la Tentation » (1998 )
« Toi qui cherches un asile / En marchant sur le fil / Des mes réminiscences/ Garde bien la distance / Dis-moi, t’es qui toi? / Dis-moi t’es quoi? / Toi la folie » qui nous évoque l’Etranger dans la glace in « Scandale Mélancolique » (2005)
« Et les mouches tombent avant de gouter au festin » comme si les mouches bleues des « Fragments d’Hébétude » (1993) n’allaient plus revenir.
Idem pour le veau d’Or clandestin et les nouveaux Moïses de la page noire, bien plus désabusés qu’ils ne l’étaient dans L’Homme politique, le Roll-mops et la Cuve à mazout parue sur « Autorisation de Délirer » publiée en 1979.
En faire la liste serait vain et sans doute fastidieux, mais il semblerait que la boucle soit effectivement bouclée.
Fort heureusement, en habitué des tournées, Hubert Félix Thiéfaine vient d’en annoncer deux, l’une « unplugged » l’autre ensuite « replugged » pour partager ensemble la puissance et la beauté des mots, de la musique et du poète dont nous avons la chance d’être les contemporains.
- Publication 1 617 vues8 novembre 2021
- Tags Hubert-Félix ThiefaineSony Music
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Tracklist
- Du soleil dans ma rue
- Page noire
- Fotheringhay 1587
- La fin du roman
- Nuits blanches
- Prière pour Ba'al Azabab
- Eux
- Reykjavik
- Vers la folie
- L'idiot qu'on a toujours été
- Combien de jours encore
- Elle danse