« Warehouse : Songs And Stories », dernier album d’Hüsker Dü, constitue un point d’orgue magnifique à la carrière d’un groupe fondamental. Il s’agit aussi d’un véritable document d’histoire, incontournable pour qui souhaite comprendre l’explosion alternative américaine de la fin des années 80. « Warehouse » parait en 1987 et pour la première fois, on visualise, avec une clarté […]
« Warehouse : Songs And Stories », dernier album d’Hüsker Dü, constitue un point d’orgue magnifique à la carrière d’un groupe fondamental. Il s’agit aussi d’un véritable document d’histoire, incontournable pour qui souhaite comprendre l’explosion alternative américaine de la fin des années 80. « Warehouse » parait en 1987 et pour la première fois, on visualise, avec une clarté sans précédent, la matrice de tout un pan du rock américain. On pourrait presque considérer qu’entre « Warehouse » et « Sister » de Sonic Youth, paru la même année, tous les germes de l’indé / grunge à venir sont déjà là, le trio mené par Bob Mould définissant clairement une approche mélodique, une façon d’amalgamer le hardcore et la pop qui marquera aussi bien les Pixies que Dinosaur Jr, Nirvana ou plus tard Weezer, Thurston Moore et les siens ouvrant, eux, la voie à un travail sur les harmonies et les textures sonores dont on retrouvera les traces chez Slint ou Pavement. 1987 d’avère donc être, au même titre que 1967 et 1977, une année fondamentale pour le rock.
A première écoute, ce dernier album paraîtra moins pourtant inventif, peut-être moins ambitieux que « Zen Arcade » ; il est clairement plus homogène que ce dernier. En revanche la maîtrise atteinte par le groupe stupéfie et l’on s’aperçoit rapidement qu’il s’agit d’une œuvre de synthèse plus que de recherche. La veine pop est désormais clairement affichée et mise en valeur par un son plus net, qui préfigure les albums à venir des Pixies avec Gil Norton aux manettes. Malgré les travers de production caractéristiques de cette époque (aigus omniprésents, batterie chargée d’écho, lignes de basse en retrait), la production permet de mettre en exergue le son de guitare toujours magnifique de Mould, ce monceau de saturation grouillante qui semble animé d’une vie propre. Il n’est d’ailleurs besoin que d’écouter les premières secondes de These Important Years pour se persuader de la grandeur de ce son, qui magnifie le jeu de guitare singulier de Bob Mould. De ce point de vue, « Warehouse » est un disque fondamental, sur lequel on peut notamment mesurer la science phénoménale de Mould qui réussit à chaque fois à combiner une approche mélodique sans faille et des parties de guitares singulières, riches en harmoniques (de It’s Not Peculiar à Could You Be The One ? en passant par Visonary ou encore Friend, You’ve Got To Fall, les exemples sont légion).
Par rapport à ses albums précédents, le groupe écarte de son répertoire les furieuses explosions sonores qui émaillaient régulièrement son parcours. Pour la première fois (et sans que cela surprenne vraiment tant le talent de composition de Mould et Hart était déjà palpable), Hüsker Dü offre une collection de chansons toutes rigoureusement écrites, structurée, ouvragées. Malgré leur habillage hardcore, ces morceaux sont si savamment troussés qu’ils évoquent plus facilement la pop britannique que le rock américain. On pourrait y voir un compromis, un accord avec le diable des majors conduisant leur musique à l’assagissement ; cependant la sensation de plénitude est si forte que l’on ressent plutôt l’aboutissement totale d’une démarche de recherche musicale comme on n’en rencontre que peu dans l’histoire récente des musiques populaires. A l’inverse des Beatles qui, à la veille de leur explosion, laissaient clairement apparaître sur leur album blanc les divergences musicales flagrantes entre leurs membres, Mould et Hart, les Lennon / McCartney du hardcore, livrent une collection de chansons d’une homogénéité totale.
D’ailleurs, alors que « Candy Apple Grey » marquait clairement la fatigue et la saturation d’un trio exténué après des albums au rythme haletant, « Warehouse » dégage un véritable dynamisme – ce qui est d’autant plus surprenant que cet album est souvent considéré comme celui marquant le divorce définitif entre un Bob Mould qui se débarrasse progressivement de ses addictions et Grant Hart toujours en prise avec des démons qu’il ne vaincra qu’après la dissolution d’Hüsker Dü. Arrivé au terme de son parcours chaotique, Hüsker Dü livre une œuvre définitive qui synthétise ses expérimentations, ses recherches et les inscrit dans un manifeste qui fera office de relais. Un peu comme si le groupe annonçait à ses successeurs, Pixies en tête : « Voilà les gars, on a fait notre boulot, à vous de jouer maintenant ». Lièvre magnifique, Hüsker Dü n’atteindra pas la ligne d’arrivée d’un succès commercial auquel il aurait pu finir par prétendre, forcé d’abandonner en route, exténué par un rythme de créativité insensé, par une vie trépidante passée sur les routes et par la consommation massive d’alcool et de drogues pour supporter tout cela. Qu’on ne s’y trompe pas : l’histoire du rock a retenu d’autres champions mais la vraie grande œuvre du rock américain des eighties, c’est celle de Hüsker Dü. Une histoire trop peu écrite, qui a pourtant laissé quelques cadavres en bord de route (au sens propre puisque le manager du groupe s’est donné la mort peu après la sortie de « Warehouse »), une histoire de bruit et de fureur comme on n’en compte que très peu ces dernières décennies.
Tracklist
- These Important Years
- Charity, Chastity, Prudence, and Hope
- Standing in the Rain
- Back from Somewhere
- Ice Cold Ice
- You're a Soldier
- Could You Be the One?
- Too Much Spice
- Friend, You've Got to Fall
- Visionary
- She Floated Away
- Bed of Nails
- Tell You Why Tomorrow
- It's Not Peculiar
- Actual Condition
- No Reservations
- Turn It Around
- She's a Woman (And Now He Is a Man)
- Up in the Air
- You Can Live at Home