J. Mascis

J. Mascis est un filou, on le sait depuis plusieurs années. Ce vieux grigou n’hésite jamais à nous proposer des albums plus ou moins appétissants, toujours marqués du sceau de sa légendaire paresse, qu’on finit toujours par acheter en sachant que, quelque part, il a encore réussi à nous avoir aux sentiments. Depuis vingt ans, on a les yeux de Chimène pour cette endive et l’on a beau râler contre ses interminables soli qu’on croirait exécutés avec un ou deux doigts cassés, il faut bien avouer que, dans le fond… on aime ça. Mascis l’a d’ailleurs bien compris, faisant de notre nostalgie un fonds de commerce. Reconnaissons toutefois qu’au panthéon du foutage de gueule, Dinosaur Jr est loin de détenir la palme : là où de nombreux grands noms de l’indie américaine des années 90 se contentent de recycler de vieux tubes sur scène – on ne donnera pas de noms, cherchez bien au rayon P, Mascis et des acolytes ont au moins eu le courage de composer de nouvelles chansons, pas honteuses qui plus est…

C’est naturellement avec des sentiments mélangés que l’on accueille ce nouvel album, la joie de retrouver notre otarie préférée le disputant à un sourire narquois car on se dit que le monsieur va encore nous refiler quelques rogatons à la fraîcheur douteuse. Une écoute suffira à balayer toutes les réserves, beaucoup d’autres suivront et confirmeront la première impression : Mascis nous gratifie ici d’un grand disque, peut-être le premier depuis « Green Mind », vingt ans déjà… Deux idées aussi évidentes que pertinentes expliquent cette brillante réussite : la première est de jouer la carte de l’acoustique, la seconde d’éviter les démonstrations de guitare pour œuvrer dans la sobriété et le dénuement. Ce régime sec marche mille fois mieux qu’un programme hyperprotéiné signé Dukan : alors que la musique de J. Mascis et de son saurien affichait souvent une surcharge pondérale inquiétante, on retire de ce nouveau disque l’impression d’un vrai travail sur les abdominaux doublé d’un arrêt net de la consommation de Toblerone. C’est sec, sobre. Même la voix de Mascis, ce grincement chuintant, s’accommode bien du traitement acoustique et apporte au disque une chaleur et une véritable proximité avec l’auditeur. Sur Very Nervous And Love, on décèle même quelques fugaces accents à la Nick Drake – TRES fugaces, certes. Quant aux compositions, là aussi, l’élégance est de mise, avec de très beaux arpèges où l’on retrouve la patte si caractéristique de Mascis, entre virtuosité et maladresse (le morceau-titre étant un fameux exemple).

Quant à l’atmosphère générale du disque, intimiste, boisée et mélancolique, elle est aussi pour beaucoup dans ce sentiment de confort que l’on ressent dès la première écoute ; Mascis se rapproche ici de certains grands noms (Neil Young notamment, modèle historique de Mascis) et réussit avec talent à s’exprimer sur un registre inhabituel. La cure de jouvence menée sur « Several Shades Of Why » est des plus impressionnantes : retour en grâce inattendu et spectaculaire d’un artiste dont on n’attendait plus grand chose, cette collection de chansons sans âge en remontrerait à bien des jeunes de maintenant. Comme il y a 20 ans, l’un des meilleurs disques de l’année est signé Mascis. Et parce qu’avec ce type on est toujours plus indulgent qu’on ne le devrait, trouvant des qualités aux nullités les plus infâmes, trouvant géniales des chansons que l’on aurait pu se contenter de qualifier de très bonnes, on en crierait presque au chef-d’oeuvre.