Superbe écrin pour une inspiration artistique unique
Il est de ces albums dont l’ambition est lourde à porter, ne serait-ce que dans la chronique… Si un album correspond à cette introduction, c’est bien « Woth » (comprendre Weighing of the Heart). Liesa Van Der Aa, derrière ce projet pharaonique, est une artiste belge, sortant avec sa maîtrise du violon du conservatoire, dont de toute évidence, elle tire un goût prononcé pour le baroque. Oui pharaonique, « Woth » l’est en tout point de vue. Composé de trois volets qui racontent les trois pesées du coeur d’une même femme (à la manière des pratiques de l’Égypte ancienne). Trois approches donc, le coeur sous contraintes, parasité, le coeur du sage, désincarné, et le coeur résigné, humble dans la communauté. Chaque pesée est effectuée suivant les mêmes critères (les titres des morceaux sont identiques), mais le coeur ne réagira pas de la même manière (paroles et compositions différentes).
« Where The Heart Is Too Heavy »
Ne nous trompons pas, l’introduction consiste à accueillir le coeur, lui ne réagit pas encore, et on a droit à un chant presque grégorien, qui consiste à nous immerger dans le mysticisme de la situation, entre sérénité et recueillement. Sur la suite, le coeur va chercher à exprimer son tiraillement flirtant avec l’inconfort, les dissonances et les rythmiques martiales bien lourdes. En terme de paroles, on évoque la chair, la peau, le genou, les eaux, la poussière, etc… Le coeur est soumis aux récepteurs sensoriels et cérébraux, qui finissent par engendrer une cacophonie frénétique de l’âme. Ce bruit savamment anarchique, agressif et angoissant ne peut-être étranger aux expériences que la chanteuse vie et a vécues aux côtés de Boris Wildorf des Berlinois cultes de Einstürzende Neubauten. À forte dominance indus, ce premier chapitre nous embarque dans les méandres acides de l’âme, au puits sans font des tourments. Mais réduire à un style ce mouvement ne rendrait pas hommage à cette expressivité, à l’attachement dont fait preuve l’artiste à peindre un tableau des ses images mentales, le style n’étant qu’une résultante. Le premier tome se conclut sur deux titres. On Freedom Of Movement assénant un bilan tout en opposition au prix d’un désir de vie, et la musique bien que toujours syncopée en devient plus douce, bien moins violente. Judgement Part One, inspirée du Livre Des Morts, prend des airs de plaidoyer serein sur une vie, imparfaite, mais non condamnable. La musique encore une fois remplacerait presque les mots, exit les atermoiements, les hésitations et les parasites, les cœurs, car il ne s’agit que de ça, qui donnent de la grandeur aux certitudes de l’oratrice.
« Where The Heart Is Too Light »
Le champ lexical est radicalement différent, on parle de saveur, de fleur, d’arbre, de sol, de lumière, de pluie, de profondeur, etc… Ce deuxième volet fait appel au sensitif, le sensitif impalpable, celui qui nous berce qui nous fait sortir de nous même quand on ferme les yeux. Cette légèreté nébuleuse est alimentée par l’absence totale de percussion et une musique tout en liant, sans à coups, presque une valse perpétuelle. Aux angoisses de la vie charnelle et aux déviances bacchusiennes s’en substitue une nouvelle, bien plus imperceptible, comme une absence de forme et de contact, une sorte de vide, celui que d’aucuns appelleraient sagesse. « La sagesse, c’est pour qu’en on sera dans l’trou », un compatriote illustre de Liesa, Jacques Brel, et crédité de ces paroles qui définissent bien le néant stressant qui traverse ce deuxième tome. Au rayon de la musique, claviers, violons, cuivre, contrebasse pour quelques résurgences de rythmiques, et un ensemble de titres étirés à l’extrême. Bien qu’évoquant sagesse et méditation on ne peut s’empêcher de noter notamment les partitions de violon qui nous fera souvent penser à une BO d’Hitchock au BPM à 2…Judgement Part Two, à l’image du premier, vient contrebalancer l’ensemble du chapitre avec un morceau rythmé, presque enjoué, l’esprit semble heureux d’être à sa place, celui du monde désincarné, encore une fois un plaidoyer qui appuie sûr les forces d’un cœur sans âme, qui n’a pu fauter par tempérament.
« Where The Heart Is Balanced »
Âme, amis, fierté, justice, rédemption, homme, femme, télé, trafic, ville, etc… Le vocable de ce tome final est de l’ordre de la sociologie, de l’intégration à ses congénères, les tendances extrêmes du cœur s’érodent au contact d’autrui. Retour des rythmiques plus marquées, pour des compositions plus pop, plus abordables et plus lissées. Cela n’empêche pas le relief et tant certains titres évoqueraient les plus lyriques des productions 4AD, tant la géniale version de On The Guard, nous enverrait plus lorgner du côté d’une PJ Harvey sensuelle et jazzy. Sans doute le chapitre le plus varié (avec notamment des résurgences des schémas de ces deux prédécesseurs), en complète cohérence avec la thématique, ce troisième et dernier disque fera à n’en point douter le point d’entrée le plus évident de l’oeuvre.
Car oui, pour « Woth », son ambition et sa réussite totale, on peut aisément plus parler d’oeuvre que d’album, pour son pendant grandiose et maîtrise du sujet. Une oeuvre donc qui fera date, et qui restera un moment très fort de cette année musicale.
Retirer un titre de l’ensemble ne rendrait pas honneur à la démarche artistique de Liesa Van Der Aa, et ce genre de précieux, on le préserve au mieux…
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- Publication 532 vues14 juillet 2015
- Tags Liesa Van Der AaVolvox music
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