Nouvel album du maître de l'electro intimiste. Celui d'un retour à un propos plus charnel ?
Nicolas Jaar fait partie des musiciens finalement peu nombreux dont la mention du seul nom suffit à imposer le respect. Et pourtant, derrière les louanges ou au minimum les qualités qu’on lui reconnaît, combien sont intimement familiers de son oeuvre ? Certainement pas grand monde et on se gardera bien de jeter la pierre. Car Nicolas Jaar a depuis longtemps affirmé son aversion pour l’aspect mercantile de la musique et, depuis ses débuts remarqués en 2011, s’est échiné à échapper de toutes les façons possibles à une carrière classique et à tout ce qui va avec. C’est à l’aune de cette posture qu’il faut considérer son travail de producteur, qui lui permet de s’effacer derrière d’autres noms ou sa propension à multiplier les collaborations, ce qui lui permet de sortir des disques sous d’autres noms et, encore une fois, de ne pas être en première ligne. Cependant, rien à faire, quand il participe à un projet, son nom est toujours cité, sa contribution décortiquée et souvent saluée. Dernier exemple en date, sa superbe production sur « Magdalene », second album de FKA Twigs paru fin 2019. Un album qui brille d’ailleurs pour son accessibilité sans rien céder à une certaine audace formelle. Ce qui a remis en lumière un dilemme, voire peut-être même un piège, dans lequel Nicolas Jaar était en train de tomber : à trop vouloir fuir les projecteurs et le mercantilisme, il ne cultivait plus que l’aspect purement expérimental de sa musique et oubliait de lui donner une vraie consistance, au point qu’on devenait nostalgiques de sa collaboration avec le guitariste Dave Harrington avec lequel, sous le patronyme de Darkside, il avait édité « Psychic », un des plus beaux albums de 2013. Sept ans, ça commençait à faire long…
Alors que nous réservait « Cenizas », quelques mois après cette si brillante production pour FKA Twigs ? Disons-le d’emblée, ce n’est en rien un album facile et, pour s’en faire une idée, certaines exigences sont indispensables : s’imposer un nombre d’écoutes assez important dans un laps de temps relativement court, malgré ses 53 minutes, pour en être imprégné, éviter un trop grand parasitage de l’écoute par des éléments extérieurs, « Cenizas » évoluant dans un registre à la fois délicat et dense. C’est un album sur lequel Nicolas Jaar s’échine, peut-être encore plus qu’avant, à abolir les frontières entre éléments électro et organiques, et certains morceaux, à l’image de Gocce ou Xerox, lui permettent d’expérimenter des boucles de piano sur le premier, de cuivres sur le second, au détriment d’une approche mélodique. Mais il y a dans la structure de « Cenizas » une approche, sinon religieuse, quasi-lithurgique en entrée avec quelques vocalises célestes sur Vanish, avant que Cenizas, un peu plus loin, offre les premiers frissons avec une ligne mélodique dépouillée à souhait pour laisser la place à une voix empreinte d’émotion. Les deux titres suivants laissent nos oreilles en éveil et ouvrent la voie au superbe Mud, sommet de l’album avec ses sept minutes rythmées par une ligne electro métronomique, un chant grave et intense. Plus loin, Garden s’avance plein de grâce et de délicatesse avec son petit accord de piano. L’album se referme avec Faith Made Of Silk, en superbe équilibre entre drum’n’bass, ambient et jazz léger. Partout ailleurs, Nicolas Jaar parsème ses morceaux tour à tour de cuivres triturés, de percussions, d’accords de harpe, ouvre des portes, interroge, sans jamais tomber dans un hermétisme total qui perdrait l’auditeur, avec un souci permanent de susciter la curiosité, et sans jamais remettre en cause le climat si particulier installé d’entrée. « Cenizas » réussit ce qu’on espérait retrouver chez Nicolas Jaar, à savoir cette ambiance qui lui est propre, de l’émotion pure alliée à une exigence constante de s’ouvrir de nouveaux horizons. Incontestablement un des grands gestes de ce début d’année.
- Publication 823 vues30 mars 2020
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