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Debout Dans Les Cordages


Un album de sorti en chez .

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L'instantanéité et l'éternité, l'étendue de leur perversité les confond !

Zone Libre et Marc Nammour n’en sont pas à leur premier projet et d’ailleurs « Debout Dans les Cordages » commence à dater!  Or, voilà un mix, une approche parmi tant d’autres, qui aura été pressé et distribué en ce mois de novembre. Mais quel est ce projet ? Les acteurs ont décidé de présenter plusieurs saisons live autours du « Cahier D’Un Retour Au Pays Natal » d’Aimé Césaire. Bien entendu, chaque représentation aura eu sa vérité, celle qui nous occupe en est une. Et mon dieu qu’il est difficile d’en coucher son essence sur quelques lignes…

« Battre un nègre, c’est le nourrir »

 

Schématiquement, Aimé Césaire est un des grands chantres de la négritude si ce n’est le plus important. L’homme a élevé à la force de sa plume ce terme de soumission au rang d’étendard de la lutte. D’un verbe particulièrement poétique, extrêmement dense, l’auteur a le don de factoriser ses idées au point de faire du propos des sortes d’uppercuts littéraires d’une précision désarmante. Ceci étant dit, où se situe la pertinence du projet ? Quel apport les artistes en question vont-ils donner à la puissance intrinsèque du texte ? D’autant plus qu’aucun des trois compères n’est directement « incarné », au premier degré du moins, par les concepts de négritude.

Premier élément d’analyse, le contenu choisi n’est pas un extrait linéaire du texte initial. Lecture elliptique, répétitions, retours arrière, « Debout Dans Les Cordages » est une réappropriation de l’oeuvre originelle. Loin de s’arrêter à une récitation plate, Nammour anime, insuffle tantôt sa rage, tantôt sa contemplation, tantôt sa propre nostalgie, tout un panel de sentiments qui font certainement au moins autant écho à son propre vécu qu’aux mots de Césaire. Pascal Bouaziz, à l’occasion de « Sciences Politiques« , évoquait la puissance du concept de chanson politique en ce sens qu’elle présentait avant tout une idée qu’un tout un chacun pouvait réadapter à son contexte, à son temps. Eh bien, malgré le sens marqué du texte qui anime ce projet, celui-ci prend une ampleur d’autant plus forte, tant on sent raisonner ici le caractère générique de sa lutte. Mais attention, il n’y a aucune déviance sémantique, à aucun moment l’interprétation ne s’écarte du texte. Par contre les choix effectués mettent en lumière, entre autre, la démarche universelle de lutte qui animait Césaire. Cela a d’autant plus d’importance que l’empathie se heurte parfois à la limite culturelle et ici, on ne la ressent aucunement, à l’écoute même des références purement antillaises.

Alors oui Nammour a cette élégance dans l’interprétation, ce respect dans l’appropriation de l’oeuvre, mais quid de ses partenaires ? Comment exister face à la puissance du fond et de la forme des propos, tout en les mettant en valeur ?

« Je déteste les larbins de l’ordre et les hannetons de l’espérance »

 

« Nous n’avons fait que fuir », « Zone Libre Revisite 2001 », « Ligne de front » et j’en passe, les projets hybrides, à forte imprégnation instinctives, instantanées, improvisées ont jalonné la carrière de Segre Teyssot-Gay et Zone Libre. C’est par ce biais que le guitariste continue d’expérimenter sa six cordes comme personne. D’un jeu habité comme peu peuvent s’en targuer, l’homme ne se vautre jamais dans la vulgarité d’un solo plaqué à la force de son égo ou d’un riff standard. Il y a en cette aisance à se laisser porter par la poésie de l’instant une définition bien plus acceptable du concept de guitar hero. Oui, dans le sens où l’artiste semble traduire à merveille les émotions et les concepts que son cerveau et son corps vivent en temps réel. Cela trouve écho, comme une mise en abîme sublime, quand Nammour incante « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche« . Alors, c’est notre appétence pour la guitare qui nous aura fait nous attarder sur Teyssot-Gay, mais comme une évidence les rythmiques de Cyril Bilbeaud sont au diapason, dans ce même respect des paroles et dans cette même appropriation.

À l’image de Césaire le groupe saura utiliser les idées comme des uppercuts, ponctuels et précis, tout en sachant prendre le temps d’installer le contexte, dessinant ainsi un récit prenant jusqu’aux tripes.

Il y aurait un non sens à évoquer un style quelconque au titre, car oui, « Debout Dans Les Cordages » est un titre (48min), nous ne le ferons donc pas. Il s’agit d’une oeuvre puissante, élégante, originale, ce type d’expérience qui vous sort du marasme d’ennui que génère souvent l’industrie musicale. 48 min le titre, à l’instinct c’est long, très long, mais « Debout Dans Les Cordages » s’écoute en boucle et plusieurs fois, tant on craint de passer à côté d’un moment de grâce. Ce besoin que l’on ressent d’y retourner encore et encore tient également du fait que l’on se retrouve presque incrédule au moment de la fin, qui ne ressemble en aucun cas à un achèvement. La lecture particulière, évoquée en amont, génère ce côté « mouvement perpétuel », cette idée qu’elle n’est pas vouée à trouver une fin.

L’instantanéité et l’éternité sont donc les mots qui nous viennent en premier au moment d’évoquer « Debout Dans Les Cordages ». Une phrase, détournée de son sens premier, extraite de notre écoute, résumera bien notre impression, « Victoire, les vaincus sont contents« . Même si l’idée de se confronter à une oeuvre de cette nature pouvait « inquiéter », nous nous soumettons de plein gré à son omniscience et à sa force toute puissante.

PS1: La classe absolue de l’album va jusqu’à l’artwork superbe de Paul Bloas (autre compagnon de route de Serge Teyssot-Gay) représentant à merveille le sens de tout cela, la quête sanglante et douloureuse de l’opprimé vers la liberté.

PS2: Les représentations live du projets (toutes uniques en leur genre, vous aurez compris) se poursuivent encore. À suivre, le 24 novembre au Théâtre du Nord de Lille et le 19 janvier 2018 au Haillan (33)

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