Album ô combien subtil et élégant, militant, respectueux des aînés, et d'une puissance artistique désarmante.
Voilà venu le moment de vous conter les mille et une merveilles qui constituent le magnifique sixième album de Mendelson, « Sciences Politiques ». Nous avons affaire au groupe de Pascal Bouaziz (également membre de Bruit Noir). Les deux plus récents travaux de l’artiste et de ses acolytes sont construits autour de lignes directrices assez claires. De fait, « I/III » faisait état d’une écriture presque automatique, instinctive à outrance, presque vomie, le tout magnifié par cuivres, percussions et un gros travail de production. De son côté, « Haïkus » montrait un visage radicalement autre, avec une écriture ciselée, chaque mot ayant un poids, susurrée par une musique et une voix vaporeuses, en retrait. A leur instar, l’opus qui nous occupe ici suit lui aussi un leitmotiv fort, axé autour de 12 reprises de chansons anglophones, des chansons politiques plutôt qu’engagées (la notion a son importance). Le titre « Sciences Politiques » est une référence à Randy Newman. L’artiste s’est imposé une forme de discipline, en partie par respect, nous en ferons de même en ne révélant aucun artiste original et en ne traitant l’album que dans son entièreté. De fait, il y a une part de jeu assumée par Bouaziz consistant à retrouver le morceau original, nous vous laisserons donc la primauté de l’expérience. Aussi, entre autres beautés de cet album, l’unité frappante (eu égard à la diversité des morceaux originaux) mérite amplement que l’on ne l’entame pas par nos sensations personnelles.
« Dépenses, somptuaires. Au dépend des couches populaires«
Tout d’abord, il semble important d’insister sur la différence que l’artiste fait entre les chansons engagées et les chansons politiques. A son appréciation, la chanson engagée est circonstancielle par essence et à ce titre éphémère, en manque totale de prise avec la condition humaine. A contrario, la chanson politique, bien que parfois l’écho d’un fait divers, est avant tout une idée, une interface que tout un chacun peut implémenter à nouveau dans un tout autre contexte. Bouaziz ne s’en est pas privé. Parfois très loin d’une traduction littérale, pour des raisons rythmiques ou sémantiques (personnelles), l’artiste s’approprie l’idée, que ce soit le acisme, l’asservissement des pauvres, l’inhumanité sous moult formes, en somme. Nous insistons sur le non recours systématique à la modification du vocable. De fait il ne s’agit ni de spoliation ni de codicille, il est question ici de transmettre une idée de façon intègre et profonde avec un abandon total à celle-ci, ni plus ni moins.
« Les héritiers de ce monde souvent rêvent de suicide, pendant qu’les pauvres de ce monde, souvent rêvent d’une deuxième vie«
Cette assimilation ne se fait pas sans mal, on perçoit humilité, voire presque de la timidité par rapport à des artistes ou des titres qui ont visiblement touché l’artiste. Ce sentiment se traduit par une certaine pudeur dans l’interprétation qui va traverser l’opus de tout son long, comme un ciment à ce qui aurait pu finir comme un agencement disparate.
« Un peu d’décence, pourrait faire du bien«
Autre élément, d’ordre sémique, source de l’alliage qui a pris : chaque morceau semble hanté par la frustration de se sentir incapable d’agir face aux nombreuses atrocités de nos sociétés. On s’ennuie pendant que le monde pullule de souffrance, au mieux on like sur facebook, on « s’élève » contre ces images horribles mais rien ne se passe. Alors bien sûr, notre présentation est bien plus schématique que l’intégration subtile de cette idée dans l’album, de plus celle-ci se fait sans condescendance ou sans fausse modestie, simplement et brillamment. « Je simplifie? Albert Einstein l’a fait, aussi« .
« République??? T’as une dette envers moi, oublie la«
Et la musique dans tout cela ? Eh bien, en écho aux superbes textes réadaptés de Bouaziz, le travail de composition tient franchement du miracle. Nous parlons ici de faire cohabiter folk, noise, post-punk, punk, soul… A l’image du travail sémantique de l’auteur, les musiciens parviennent avec grand respect à maintenir les structures stylistiques originales, tout en se réappropriant les mélodies. Parfois brodés, parfois épurés, les morceaux sont bien plus que reliftés ou filtrés, ils ne sont pas repris mais « pris », avec soin soit, mais bel et bien dépossédés de leurs géniteurs. S’en suit quelque chose qui tient bien plus du mariage, dans le sens le plus noble du terme, que de la cohabitation ou du mélange. Aussi, petit aparté sur la rythmique des paroles, car elle aussi a présidé aux choix du thésaursus général. « Y a Pas de … Boulot, Pour QuelQu’un Qui n’a Pas… de Bras », l’album regorge de ces textes qui officient comme seconde batterie ou seconde basse. A la Bouaziz, le résultat est limpide et accessible tant dans la musicalité que dans le vocabulaire, ce qui, comme à son habitude, donne un résultat magnifiquement beau et percutant.
Est-il réellement pertinent d’apporter une conclusion à cette chronique ? Disons juste que nous avions déjà loué l’écriture extrêmement touchante (dans le sens efficiente) de Pascal Bouaziz et l’ambition artistique des compositions musicales sur lesquelles il s’appuie. Eh bien de toute évidence, cet exceptionnel disque fait bien plus que conforter nos sensations. Il y a clairement un don dans ces œuvres, un aimant pour l’auditeur, tant celui-ci sent que l’album a été écrit pour lui, du moins est-ce le cas pour celui qui a écrit ces quelques mots.
Pour aller plus loin… : les vidéos » Extension Politique », 12 vidéos (à terme) sur la chaîne Youtube du groupe balayant chacun des douze morceaux constitutifs de l’oeuvre. A ne déguster qu’après, au minimum, une première écoute. Pascal Bouaziz expose ses inspirations, qui parfois dépassent l’interprète du titre original, avec flegme (timidité ?) et humour cinglant.
- Publication 2 506 vues5 avril 2017
- Tags MendelsonIci d'ailleurs...
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Tracklist
- Les peuples
- Le soulèvement
- La nausée
- La guerre
- La panique
- La carrière
- Les héritiers
- Le capitalisme
- Les loisirs
- La liberté
- La décence
- La dette