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Interview de Deleyaman

Deleyaman

Depuis le début l?automne 2000, le groupe Deleyaman dévoile une musique inspirée par certaines cultures ancestrales. Dans la lignée de Dead Can Dance, et en dignes héritiers, ils créent une musique envoûtante à la croisée des cultures, entre Orient et Occident, entre tradition et modernité. Fort de deux albums dont le brillant « Second« , sorti l?an passé sur le label TTO / Nech. Rencontre virtuelle avec les membres de ce groupe atypique, Aret Madilian (chant, claviers, saz, percussions) qui est à l?origine de ce projet, Béatrice Valantin (chant), Mia Björlingsson (batterie) et Gérard Madilian (doudouk, shêvi).

Pourriez-vous nous présenter un peu chacun votre parcours ?

Aret : Ma famille a quitté Istanbul pour immigrer aux Etats-Unis. J’avais treize ans quand nous sommes arrivés à Los Angeles. Là bas, j’ai fondé à l’age de 18 ans, mon premier groupe : Wog (post-punk). Nous avions sorti un album à l?époque. Puis, je suis arrivé en France en 1988 et j’y habite depuis. Entre temps, j’ai enregistré deux albums aux Etats-Unis (ndlr : piano solo). Après un long moment d’errance, je me suis installé à la campagne où j’ai commencé à travailler sur 00/1, le premier album de Deleyaman en 1999.

Mia : Pour ma part, j’ai quitté Stockholm (Suède) à 18 ans pour des études à Bruxelles. Après j’ai beaucoup voyagé et je suis arrivée à Paris en 1989. J’habite aussi en Normandie depuis 13 ans. En 1990 j’ai fait partie d’un groupe de rock féminin puis j?ai joué dans diverses formations.

Gérard : Je me suis passionné très tôt pour les danses traditionnelles de l’Arménie et du Caucase. Après avoir créé une compagnie de « Ballets arméniens », j?ai donné de nombreuses représentations et fait tourner des groupes venant du Caucase et d’Arménie. Ma passion pour la musique, et plus particulièrement pour le hautbois Doudouk m?a permit de jouer dans plusieurs formations pas uniquement traditionnelles.

Béatrice : Je suis la seule qui n’ait pas un « véritable » parcours de musicienne, à l’exception du chant choral classique que je n’ai
pratiqué avec une autre intention que celle de m’évader de temps à autre…

Pouvez-vous nous raconter un peu la genèse de Deleyaman ?

Béatrice : Aret m’a fait écouter une de ses compositions et j’ai improvisé spontanément dessus, cela lui à plu, il m’a donc proposé de travailler sur les autres morceaux, et c’est comme ça que Deleyaman à commencé?

Gérard : C?est une rencontre insolite entre des personnes venant d’horizons très divers, où le doudouk trouve sa place, imprimant son timbre et sa profondeur émotionnelle. Cette expérience intéressante correspond à une motivation d’époque, la musique évoluant vers des horizons nouveaux où l’échange donne à chacun la possibilité de s’enrichir musicalement et de découvrir sans cesse de nouveaux horizons.

Aret : Un peu plus tard, je suis allé voir Mia avec des compositions très avancées. Elle a tout de suite accepté de nous joindre.

Comment fonctionnez-vous ?

Aret : Je propose un cadre musical, ensuite avec Béatrice nous travaillons le chant. Le moment venu, Gérard et Mia interviennent pour la partie doudouk, les percussions ou la batterie. Ce n’est jamais une science exacte. Parfois, les choses se passent autrement.

Mia :J’ai joué dans d’autres formations mais Deleyaman me demande un jeu très différent comparé à ce que j’ai fait auparavant.

Béatrice : Depuis que Mia et Gérard sont avec nous, nous n’avons pas tellement changé notre façon de composer. Je crois que nous nous inspirons mutuellement. Nous avons eu la chance de trouver rapidement une harmonie musicale, sans doute parce que nos personnalités se ressemblent à certains égards. Nous avons tous, par exemple, un parcours qui sort des chemins battus.

Aret, il semble que sur ce deuxième album, tu ais plus laissé les autres entrer dans le processus de création.

Aret : Oui, le premier album était une expérience très personnelle. Je voulais voyager vers l’intérieur et me débarrasser des vieux démons. J’ai appris à être patient. Je trouve que finalement le plus difficile dans la musique comme le plus difficile dans la vie : c’est d’être entier et sincère. Il s’agit de trouver « le » son et pas un son. Je ne pense pas que les rencontres soient dues au hasard et je sais bien que Béatrice, Mia et Gérard ont des trésors enfouis et leur propre quête a mener. Donc, c’était tout à fait naturel de leur proposer un lieu de liberté pour cela. Leur contribution, dans le processus de création de « Second », est extrêmement juste. J’aimerai aller encore plus loin et découvrir davantage mes compagnons de route avec le prochain album.

Votre musique semble traduire une certaine sérénité. Quelle part prend la spiritualité dans votre travail ?

Aret : Je n’ose pas parler de spiritualité car c’est si personnel et propre à chacun d’entre nous. Mais je peux dire qu’il y a une respiration consciente, une parenthèse que je cherche dans la musique. Je me sens plus en contact avec moi-même et l’autre via la musique que par tout autre forme de communication ou expression. La musique pour moi est la recherche de l’absolu.

Mia : Nous faisons de la musique ensemble et s’il y a une sérénité qui s’en dégage c’est peut-être le reflet d’un certain état d’esprit que nous partageons.

On vous compare souvent à Dead Can Dance, notamment en raison de la voix d?Aret qui assez proche de celle de Brendan Perry, tout comme dans le fait d?alterner chant masculin et chant féminin. Mais là où nombreux sont ceux qui s?y sont cassés les dents, vous semblez évoluer avec une certaine aisance. Comment percevez-vous cela ?

Mia : Je peux comprendre la comparaison avec Dead can dance pour les raisons dont tu parles et leur public ne serait peut-être pas dépaysé en nous écoutant. Mais notre inspiration vient de nous-mêmes et on n’essaye pas de ressembler à quelqu’un.

Aret : Pourtant je dois dire que je suis né et j’ai grandi à Constantinople. Et bien avant de connaître la musique de l’Occident (de l’ouest comme on disait là bas) le rock, le jazz, la variété occidental ou la musique classique, j’ai connu la musique de l’Orient, la liturgie arménienne, grec, la musique de Byzance, des traces de la musique de l’empire Ottoman et toute la variété orientale bien sûr.

Béatrice : Lisa Gerrard a grandit dans un quartier Gréco-Turque en Australie et qu’elle a, elle aussi, baigné dans la musique orientale et s’en est largement inspirée. D’autre part, Aret a fondé un groupe post-punk en 1983, et Dead Can Dance a aussi traversé cette période… En fait, Dead Can Dance et nous partageons les mêmes influences.

Aret :Ce qui m?étonne, c’est qu’arrivé aux Etats-Unis, les choix que j’ai fait en musique (Joy Division en particulier), semblent être aussi ceux de Dead Can Dance. J’ai découvert à 13 ans un autre monde musical, à mon tour j’ai été attiré instinctivement vers cette culture si particulière et plutôt underground, qui n’était pas la mienne au départ. J’ai l’impression que nous partageons les mêmes influences.

Gérard : A propos des voix, je trouve que les complémentarités des voix masculine et féminine est un phénomène traditionnel de longue date.

Béatrice : Aret et moi chantons beaucoup ensemble. Notre chant est comme une conversation, il parle, je lui réponds ou l’inverse et parfois nous chantons ensemble comme il nous arrive de dire les même choses en même temps, chacun à sa manière…

Est-ce que le travail de certains vous a quelque peu conditionné ? Quelles sont vos sources d?inspirations aujourd?hui ?

Béatrice : Nous ne cherchons jamais l’inspiration dans les créations des autres. Ce que nous sommes tous les quatre est à l’origine de notre musique. Nous sommes plus influencés par nos pays, par notre culture et traditions respectives, que par des groupes ou mouvements musicaux.

Aret : Je compte surtout sur notre sincérité quand il s’agit de création. Vraiment, sans cet élément, cela ne vaut pas la peine. Peu importe le reste. Les inspirations sont partout autour de nous. Notre univers est vaste et riche, si on prend le temps de le regarder.

Mia : Je ne crois pas que nous soyons particulièrement conditionnés mais nous avons évidemment des préférences. Nos inspirations à tous les quatre sont certainement assez diverses. Pour ma part je peux aussi bien apprécier Astor Piazzola que Béla Bartok ou Bill Evans et j’ai beaucoup écouté Neil Young et Billie Holiday par exemple.

Pensez-vous remettre au goût du jour une culture millénaire, d?être des achoughs (troubadour d?Orient) du troisième millénaire ? Ou est-elle simplement une culture du voyage, des rencontres, et le fait d?être pour beaucoup d?arméniens ?pandoukht? (qui signifie en arménien « ceux qui ne vivent plus dans leur pays natal ») ?

Aret : Je crois profondément aux voyages, mobile ou immobile, pour moi c’est la seule façon d’accueillir et d’être accueilli. Donc pourquoi pas des « achoughs » du troisième millénaire, j’aime bien ton idée.

Votre label est consacré aux musiques arméniennes, vos premières parties sont des groupes arméniens. N?avez pas peur de vous enfermer dans un certain communautarisme au lieu de toucher directement le public concerné ?

Aret : Je n’ai pas peur, mais je suis ton raisonnement et j’y pense de temps à autre. Bien sûr qu’il faut faire attention et ne pas tomber dans le communautarisme. Surtout que nous avons 4 nationalités différentes dans Deleyaman, ça serait vraiment bizarre. Ce n?est jamais facile de chanter dans une langue autre que ceux que le public connaît et éviter d’être classer tout de suite dans la musique du monde. Pour moi le communautarisme commence là, car il faut bien classer les disques ensuite par pays. J’ai du mal avec « musique du monde » car j’entends derrière ces jolis mots exotiques, une logique colonialiste : musique du monde veut finalement dire tout ce qui n’est pas du nôtre mais qu’on voudrait apprivoiser…

Mia : Si notre musique fait parler d’elle surtout dans le milieu arménien ou gothique, elle est aussi appréciée par des gens ne faisant pas partie de ces catégories.

Béatrice : Notre musique peut être un moyen pour les arméniens de s’ouvrir à une musique qu’ils ne connaissent pas et aux
non-arméniens de s’enrichir d’une culture différente. Je ne pense pas que nous ayons à voir avec le communautarisme ambiant.

Gérard : Le public actuel est de plus en plus ouvert à des tendances nouvelles. Les genres changent, des genres nouveaux se créent. Notre musique est particulière et difficilement classable.

Lors de votre concert au Théâtre de l?Epée de bois Cartoucherie de Vincennes (ndlr : chronique) le clavier prenait le pas sur les instruments, ce qui ne se sent pas sur l’album. Gérard disparaissait presque d?autant que peu desservi par les lumières.

Aret : Je sais que nous avons du travail pour la scène et tout ce que tu dis est vrai. Les lumières, le son, même le temps entre les morceaux (un peu long). Tout ça n’est pas encore à mon goût.

Mia, tu sembles trouver une place plus importante avec une certaine richesse dans les rythmiques.

Mia : La musique de Deleyaman permet d’innover rythmiquement et d’avoir un jeu plus varié, et sur scène c’est agréable d’avoir à présenter quelque chose d’un peu différent.

Aret : Mia est plus à l’aise derrière sa batterie et j’adore la voir ainsi, elle qui est plutôt timide et assez réservé.

Est-ce que l?envie ne s?est pas fait sentir de travailler sur scène avec un peu plus de musiciens, de vraies cordes ?

Aret : Les musiciens pour la scène, ce n’est pas pour tout de suite car il faut des rencontres sincères mais bien sûr que d’avoir une ou deux musiciens pour la scène nous faciliterait pas mal de chose. Surtout en ce qui concerne effectivement les cordes.

Quels sont vos projets pour 2004 ? Un nouvel album est-il en préparation ?

Mia : Nous avons des nouveaux morceaux en route et tout suit son cours…

Aret : Un nouvel album certainement, des concerts, nous avons deux amis cinéastes qui travaillent actuellement sur un clip pour le titre Sparrow et au moins un voyage « mobile » !

Chroniqueur
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