"> Interview de Randy Newman - Indiepoprock

Interview de Randy Newman

DU PERSIFLAGE À L’EMPATHIE…

Randy Newman a toujours été une anomalie dans le domaine de la musique populaire depuis les années 70. Non seulement son style musical empruntait à Gershwin ou au jazz New Orleans mais ses textes étaient de véritables vignettes psychologiques dans lesquelles sa verve satirique, voire caustique pouvait s’exercer. Parfois, pourtant, il montrait une certaine tendresse envers ses personnages, et, en parallèle à ses musiques de films, ses évocations d’une certaine Amérique « profonde », bien que le plus souvent imaginées, sont des magnifiques exemples de réalisme. Un "Songbook Vol. 2" nous permet de le rencontrer pour aller, bien sûr, au-delà et dresser un panorama de l’immense artiste qu’il est.

Ce disque n’est pas «creates something new under the sun » (Rires)
Je n’étais pas responsable du titre de ce premier album, vous savez. (Rires) C’était, au départ, le titre d’une publicité…

Ça avait quelque chose d’un peu ironique pourtant…
Ça l’aurait été si j’y avais pensé mais ça ne venait pas de moi (Rires). Il y avait également quelque chose de si désuet dans la façon de mettre en place les orchestrations que jamais je ne me serais aventuré à un tel titre.

En même temps vous avez toujours manié le second degré, y compris avec vous…
C’est vrai mais pas à cette époque.

Vous avez toujours joué sur cela néanmoins ; ce qui est sérieux et ce qui est du domaine de la dérision.
Je n’ai jamais considéré que mes textes étaient difficiles à appréhender mais, en même temps, ce que je fais n’est pas une musique d’accompagnement que vous pouvez écouter en pensant à autre chose. Je crois aussi que les gens n’étaient pas habitués au fait que les mots ne devaient pas nécessairement être pris au sens propre. Quand vous êtes sur le registre de l’ironie, vous devez prendre ça en compte.

Et en tant que compositeur de musiques de films ?
Je travaille différemment car dans l’instrumental vous devez être au service d’autre chose. Le plus facile est que le tempo vous est donné et que vous devez vous inscrire dans ce cadre. La comédie ou le drame sont préétablis alors que quand vous écrivez une chanson ça peut venir de n’importe quoi.

D’où vous viennent vos inspirations ?
En général je ne le sais pas, ou alors rétrospectivement. Mais parfois, comme pour ce disque, ça peut être un film ou une histoire que quelqu’un m’a raconté.

Sur ce disque, "Songbook Vol.2", vous semblez être plus sur le registre du personnel que sur
le "Vol. 1" qui contenait des titres plus marqués socialement comme Political Science.

C’est exact mais ce qui m’intéresse n’est pas simplement ma personne mais plutôt les caractéristiques humaines vues à travers différents prismes. Je suis plus sensible à cela qu’à ce qu’on nomme les questions générales. Ce qui compte c’est comment les gens se comportent, c’est l’indifférence, le fait que les gens connaissent si peu d’eux-mêmes. À cet égard, nous, en tant qu’audience, en savons plus sur eux. Je crois n’avoir jamais dévié dans cette approche.

Souvent vous utilisez la narration à la première personne ; que doit-on en déduire ?
C’est naturel pour moi. Cela permet de m’impliquer à moitié si vous voulez. Ça permet à l’autre personne de ne pas figurer dans l’histoire également. Inconsciemment j’essaie, je crois, de m’exclure du récit. Ça n’est pas important pour moi de figurer sur une de mes œuvres. Je ne me sentais pas impliqué, personnellement, dans le premier album, sur des titres comme Davy The Fat Boy ou Cowboy. Plus tard, j’ai parlé de moi mais ça ne me dérangerait pas de ne plus le faire.

Vous voyez-vous comme un observateur détaché alors ?
Non parce que quand je fais parler un personnage, c’est moi qui imagine comment il le ferait. En général, j’essaie toujours de dire quelque chose mais c’est souvent une problématique dans laquelle je n’entre pas.

Si on schématisait votre œuvre il y a le sarcasme d’une part et, d’autre part, des éléments de tendresse très prononcés.
La musique en soi n’est pas vectrice d’ironie, elle peut juste y tendre. Quand je travaille, je ne prends pas en compte ce que je ressens mais ce qui se produit. Très souvent ça n’est pas prévu et je n’aime pas nécessairement cela. Il m’est arrivé à plusieurs reprises de souhaiter être paralysé avant de pouvoir écrire ; un peu comme un petit enfant qui n’a pas envie de travailler mais qui y est obligé.

Vous parlez comme si vous éprouviez une sorte de complexe…
Je ne me suis jamais senti intimidé quand j’interprétais quelque chose. En tant que compositeur ça n’est pas la même chose ; j’aimerais avancer, faire des choses différentes ne serait-ce que d’un point de vue harmonique. Ma voix est plutôt « blues » donc je suis fatalement limité : je ne peux pas tenir une note même si j’ai progressé. C’est pour cela que j’aimerais aller vers des titres comme Laugh And Be Happy car ils bougent beaucoup et s’acheminent vers des endroits où, harmoniquement, je n’ai jamais osé aller. Je suis heureux de pouvoir changer de clefs par exemple. J’aimerais continuer dans cette voie, mais en suis-je capable ?

Qu’est-ce qui vous a poussé à enregistrer deux disques plutôt rock comme "Little Criminals" et "Born Again" ?
Sur le plan du son, "Little Criminals" est l’album dont je suis le plus satisfait avec "Harps & Angels". Vous savez, je me suis simplement axé sur le fait que j’étais satisfait du son et "Born Again" en a été une extension.

Il y a un morceau que j’aime beaucoup sur "Little Criminals", c’est Sigmund Freud’s Impersonation of Albert Einstein pour la façon dont l’Amérique est dépeinte…
On ne peut qu’être ambivalent par rapport à l’Amérique. C’est si compliqué. Je suis heureux et même fier d’être Américain mais il y a tant de choses qui méritent d’être corrigées. Parfois la façon dont les Européens nous décrivent est assez juste. Comment peut-on dire que les Etats-Unis sont une grande nation alors que que ce sont avant tout une puissance militaire. L’Amérique a exporté une certaine idée de la culture populaire, je suis d’accord mais hormis cela ? Je ne pense pas que notre enseignement soit à prendre en exemple, je ne vois pas en quoi notre système se préoccupe des pauvres, des vieux ou des jeunes. Alors quand on fait le bilan, de quoi peut-on se glorifier ?

Quand vous avez écrit The Great Nations Of Europe,  cela traitait-il d’une forme d’impérialisme culturel ?
Je pensais avant tout à celui qui est issu du monde occidental en y incluant l’Amérique depuis le moment où New York se nommait New Amsterdam. C’est devenu le symbole de la façon dont la ville humaine a grandi. Au départ c’était un schéma européen et il est devenu un modèle pour le monde. Je trouvais que l’idée pouvait faire naître une superbe chanson, mais elle est un peu trop didactique. Il y a quelque chose qui me rappelle ce maître d’école qui vous disait d’aller à telle ou telle page d’un livre.

Vous est-il difficile d’écrire des textes « engagés » sans que, justement, ils sonnent de façon trop évidente ? Political Science par exemple est assez caricatural…
Oui, ça n’est pas malin, il y a plein de clichés mais je ne pense que ce soit un titre didactique. The World Isn’t Fair est un peu similaire, il a la même profondeur que Great Nations. En même temps c’est une observation sur la nature humaine, sur l’échec du marxisme. Vous avez une belle idée, qui est entachée par le fait que dès qu’on a un peu de possessions, on en oublie tout.

Il y a beaucoup de morceaux où vous évoquez la famille, les femmes de votre vie, en particulier les Françaises . Comment vous sont venus ces sujets de Romance ?
C’est une question, l’inspiration dans un sens général, sur laquelle je m’interroge souvent. Cette belle Française à Las Vegas, je l’ai effectivement rencontrée, mais j’avais 61 ans et j’étais là avec mes parents. J’ai bien discuté avec elle mais rien ne s’est passé (Rires). C’est juste une vignette anodine sur laquelle j’ai brodé un petit fantasme. C’est pour cela que j’ai l’air de réciter quelque chose, comme s’il s’agissait de relater l’histoire d’un autre qui était également moi.

Mais par exemple comment passer de Sandman’s Coming, une chanson très tendre destinée à un enfant au mordant de My Life Is Good où vous évoquez le Mexique, une femme de ménage. Ne s’agit-il pas d’une critique d’un certain mode de vie californien où l’on fait venir des Mexicains pour les "sales boulots" ?
Tout à fait, oui. Je parle ici d’une personne du bien précise du côté de Los Angeles et dont j’ai pu noter le comportement. C’est un individu à qui personne ne dit jamais non. Il est dans un "power trip" mais il a une faiblesse, ses enfants et leur éducation. Un jour, un adolescent de 22 ans lui dit : « Vos gamins sont des bons à rien ». Il n’en revient pas qu’on puisse s’adresser ainsi à lui de cette manière. C’est quelque chose que j’ai vu, j’ai trouvé que c’était une super idée et j’en ai fait ce que je considère comme une excellente chanson.

Votre phrasé y est très insistant.
C’est un morceau assez dur, avec des vocaux proéminents, il s’agissait presque d’une performance d’acteur.

Vous êtes très ironique par rapport à la vie à L.A.…
Je m’y sens bien, vous savez. Quand je chante I Love L.A. ça n’est pas totalement faux. (Rires)

Plusieurs titres, Baltimore, Birmingham, Dayton, Ohio 1903, Cowboy, évoquent une sorte de "road album".
Je suis intéressé simplement par le noms des endroits, c’est juste quelque chose qui me plait. J’aime l’idée qu’il y ait eu un deuxième pape dans un lieu nommé Avignon, qu’il y ait cette Grande Muraille en Chine… Je suis intéressé par la ville et par à quoi la vie pourrait y ressembler, à l’imaginer. Je n’étais jamais allé à Baltimore avant d’écrire le morceau ; je ne me suis pourtant pas trompé. J’ai dressé, sans connaître le lieu, le portait d’une ville en train de mourir.

Vous voyagez pourtant beaucoup je crois, essentiellement en Amérique dirait-on…
Oui énormément. Cela m’aide à trouver des vignettes, des idées. Ça fait très longtemps que je n’étais venu à Paris ; les choses ne pouvaient se faire malgré mon désir d’y retourner. On mégotait sur mes conditions et on ne pouvait même pas me fournir un bon piano ! Mais chaque lieu est un cas d’école, Birmingham par exemple. Il est assez bizarre que quelqu’un puisse se vanter de venir de là et c’est un peu cela que je voulais dépeindre dans Birmingham. En même temps j’aime que quelqu’un puisse être fier et n’éprouver aucune gène à venir d’une petite ville comme Birmingham. Pourquoi ne devrait-on que se revendiquer de New York ou Los Angeles après tout ?

Vous avez à nouveau travaillé les orchestrations avec Mitchell Froom et Lenny Waronker.
Je me suis mis dans la même situation que celle où j’ai composée ces titres. L’idée du "songbook", du recueil, les rend plus faciles à appréhender. Peut-être les arrangements sont-ils trop prononcés, trop surajoutés… C’est le genre de questions que je me pose toujours mais j’adore les orchestrations.

C’est le syndrome Gershwin.
Oui.

Vous avez aussi été influencé par le New Orleans mais ça apparait moins ici.
C’est volontaire. Il s’agissait de retrouver la racine des compositions et la façon dont je les ai écrites.

La problématique du "songbook" donne-t-elle, à votre sens, plus d’importance à vos textes ?
C’était une idée de mon label, Nonesuch avec l’espoir que cela permettrait aux gens de noter combien j »ai toujours été sérieux en tant que songwriter, au même titre que Joni Mitchell ou Paul Simon.

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