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Interview de Chris Garneau

Interview de Chris Garneau

C’était ton anniversaire il y a 10 jours. Comment l’as-tu fêté ?

C’était horrible (rires). J’ai voyagé en voiture pendant 10 à 12 heures de Paris à Milan. J’ai donc passé la plupart de mon temps en voiture la veille de mon anniversaire et le jour même aussi. Nous avons joué à Milan devant un très très petit public. Ils ont été vraiment adorables et c’était sympa. Mais ce n’était pas le meilleur anniversaire.

Je suis presque toujours en tournée à cette période, vers octobre-novembre.

 

Tu as vécu en France quand tu étais beaucoup plus jeune. Qu’en gardes-tu comme souvenir ?

Ma famille et moi avons vécu à Saint-Nom-la-Bretèche, une petite commune très jolie entre Versailles et Saint-Germain-en-Laye. J’avais 2 amis dans mon quartier avec lesquels je jouais, mais j’étais souvent tout seul ou avec mon frère.

Quand nous sommes arrivés en France, ma famille m’a offert un vélo pour Noël. Il avait une lumière, il était super mignon. J’étais presque tout le temps sur mon vélo les 3 années où nous vivions ici. Les gens plaisantaient à ce sujet en disant que j’y étais accroché. Je faisais du vélo partout. J’allais même très loin parfois, sur des routes de campagne, dans des champs, à travers la forêt. Je n’aurais peut-être pas dû aller aussi loin parce que je n’avais que 7 ou 8 ans.

Le paysage était différent de celui avec lequel j’ai grandi aux États-Unis qui était plus urbain.

J’avais un très bon ami comme voisin avec lequel nous avions l’habitude d’enterrer des choses dans le sol. Nous avons fait plusieurs capsules temporelles dans la ville.

C’était une période très calme de ma vie. Ma famille et moi étions très heureux. Nous mangions beaucoup et prenions beaucoup de poids (rires).

 

La France est importante dans ta vie. Ce soir, Paris constitue la dernière date de ta tournée, comme pour ta tournée précédente. Qu’est-ce que tu aimes tant ici ?

Quand j’ai commencé à faire de la musique, la France a été le premier pays à m’accepter. Je me rappelle avoir joué à la Maroquinerie en 2007. Je n’avais encore rien sorti ici. « Music for Tourists » n’était sorti qu’aux États-Unis.

J’étais venu en Europe avec un ami pour visiter Londres, Paris, et Berlin. J’ai organisé quelques petits spectacles dans chaque ville juste pour le fun sans penser à ce qui pourrait se passer. Dès la première fois où je suis passé à la Maroquinerie, la Blogothèque a voulu m’enregistrer. Une chose en amenant une autre, j’ai signé avec un label et j’ai eu un agent ici. Tout s’est passé très vite. Ça a vraiment été propulsé par la France. Immédiatement, c’est donc devenu un territoire important pour moi. Je me sentais fier, d’autant que j’ai grandi ici quelques années.

Au moment où j’ai quitté la France plus jeune, j’étais presque bilingue. Comme la langue est très importante pour moi dans la culture, c’est devenu comme une seconde maison ici. Je m’y sens bien.

 

Tu as déjà collaboré avec des artistes français ?

J’ai travaillé un peu avec Keren Ann. Elle produisait une bande originale de film et j’ai repris une chanson de Sylvie Vartan.

 

Tu voudrais à nouveau collaborer avec un artiste français ?

Mon partenaire sur scène (Maxime Vavasseur) est français. Nous travaillons ensemble. Il a son propre projet solo (Witxes). Ça fait presque 1 an et demi que nous faisons des tournées ensemble.

 

 

Sur scène tu ne joues que du piano. As-tu déjà essayé de jouer d’un autre instrument ?

J’ai fait un peu de guitare. Je la prenais avec moi avant pour jouer quelques chansons mais ça ne valait pas vraiment le coup. J’aime la sensation, j’aime le fait que ça donne un côté cool. J’aimerais pouvoir en jouer mieux mais je suis très mauvais.

Max (Maxime Vavasseur) est très versatile. Il joue aussi beaucoup de guitare. Nous avons essayé de faire évoluer les choses en ajoutant un peu de couleur à la scène : il joue un peu de guitare et je chante.

Le piano est vraiment l’instrument avec lequel je veux jouer donc j’essaie que ça reste simple.

 

Tu as déménagé de Brooklyn pour aller dans une ferme plus au nord de l’État. Est-ce que ça a modifié ta façon de composer de la musique ?

Carrément. Je pense que le travail fourni quand j’étais à Brooklyn était plus procédural, je me concentrais sur comment écrire une chanson : couplet, refrain, couplet, refrain, bridge,… C’était comme ça que le voyais et c’était comme ça que j’avais envie de le faire. Je voulais que les gens écoutent et sachent quelle section du titre correspondait à quoi. La structure même de la ville m’a en quelque sorte forcé à me structurer.

Et puis tu scrutes constamment tes pairs, ce qu’il se passe dans la musique au jour le jour. Ça devenait donc aussi un peu compétitif.

Quand je suis parti, j’ai tout lâché. J’ai dû apprendre à composer seul sans avoir quelqu’un pour m’aider à enregistrer ou à produire une chanson.

 

Tu as tout fait tout seul ?

Oui. J’ai vraiment bossé tout seul pendant au moins un an, à composer, à écrire, à enregistrer. J’ai utilisé des instruments que je n’utilisais pas vraiment avant comme la guitare, justement. Pour la première fois, j’expérimentais vraiment la musique et créais un paysage sonore sans me soucier de qui allait l’écouter ou à comment ça sonnerait pour quelqu’un d’autre.

Franchement, je ne savais même pas que ça allait en faire un album. Je pensais juste que ça resterait de vulgaires brouillons avec lesquels je serais rentré en studio pour les assembler et en faire quelque chose de net et carré. Mais ce n’est pas ce que je voulais. Je pense que de vivre dans un espace ouvert avec des montagnes, des arbres, des champs, c’est finalement ce à quoi la musique a fini par tendre : naturelle, sans rien couper ou sans la rendre parfaite.

 

Comment t’est venu « Winter Games » ?

C’est une idée que j’ai eu il y a très longtemps. L’idée de l’hiver et du froid, des saisons, des choses qui meurent, des gens qui souffrent, je trouve ça intéressant. Ça a toujours été une sorte de thème pour moi, même sur d’anciens titres. J’ai juste voulu y ajouter des souvenirs de gens au sujet de l’hiver, avec lesquels je pourrais raconter des histoires.

À la base, je voulais faire un album avec les prénoms des personnes comme titres des chansons, mais ça a déjà été plus ou moins fait. Même si j’ai finalement abandonné l’idée, j’ai récolté des souvenirs de membres de la famille et d’amis proches. Je leur ai demandé de se rappeler aussi loin qu’ils pouvaient, en tant qu’enfants, d’un jour d’hiver et de ce qu’ils y ressentaient. C’est à peu près tout ce que je leur ai demandé.

 

 

Est-ce qu’un des titres en particulier illustre l’un de tes hivers ?

Ils sont tous un peu tirés de mon expérience et de ma mémoire que je le veuille ou non. J’ai pris ces souvenirs qu’on m’a donnés et ils m’ont inspiré, comme un échange indirect. Au final, mon propre hiver et mes propres souvenirs sont partout sur cet album.

 

Le titre Oh God intègre de la musique électronique. Tu voulais expérimenter de nouvelles sonorités ?

Je voulais vraiment me détacher d’un album acoustique, de piano acoustique en particulier. Je pense qu’il est important de se laisser évoluer.

J’habite cette petite maison au milieu de nulle part. C’était donc aussi la première fois où je pouvais ouvrir tous mes instruments et les garder branchés tout le temps. J’avais un studio à portée de mains tout le temps. Quand j’habitais en ville et que je voulais faire de la musique, je ne pouvais commencer que 2 heures plus tard, le temps que tout soit prêt, sans pouvoir de suite improviser. J’avais un espace réduit et peu de temps. J’ai pu commencer à utiliser des instruments que j’avais mais que je n’avais jamais utilisé, comme des synthés qui étaient restés dans des caisses.

Je me mettais devant l’ordinateur, à éditer des choses et à créer un projet artistique. C’était vraiment un moyen de tout essayer. Et il se trouve que nous avons tout gardé.

 

The Whore In Yourself est un morceau avec un titre provocateur qui parle pourtant d’égoïsme.

Elle retrace en fait ma relation avec ma sœur, qui est âgée de 8 ans de plus que moi. C’est la réponse la plus courte que je puisse donner sinon ça risque de devenir compliqué (rires). Ça parle d’elle comme modèle et de nos visions différentes de la vie. Nous avons eu toute sorte de bons moments et de mauvais moments.

 

Nous avons rencontré Mike Hadreas de Perfume Genius il y a quelques jours. Il est ouvertement gay. Est-ce que ça t’ennuie d’être catalogué artiste gay et non pas artiste tout court ?

Je suis passé pas différentes phases dans ma vie où j’ai eu des problèmes différents à ce sujet. Mais je n’ai jamais eu de soucis à parler publiquement de ma sexualité.

Quand j’ai commencé à sortir mon premier album, je trouvais que c’était très mécanique la façon dont la presse en parlait. Ça m’ennuyait parfois, je ne voulais pas être une sorte d’ambassadeur. Il y a eu quelques fois où ça me dérangeait qu’on mentionne encore le fait que je sois gay. Mais au final, je n’ai pas de problème majeur à ce sujet.

Le point le plus important pour moi, et ça toujours toujours toujours, c’est que je pense que tu le saches ou non, que tu l’acceptes ou non, si tu es gay, que tu fais de la musique et que tu es sous les projecteurs, en fin de compte tu aides des personnes jeunes ou en difficulté. Peu importe ce qu’il en est, ça arrive forcément, et c’est une bonne chose. Tu peux aider quelqu’un qui est au fond du gouffre et qui pourrait se suicider. C’est tellement plus important que d’être ennuyé par ça.

 

C’est la dernière date de ta tournée ce soir. Que peut-on attendre de Chris Garneau en 2015 ?

Je ne sais pas. C’est certainement la dernière tournée pour cet album en Europe. Nous avons fait quelques dates en Asie l’année dernière et j’en fais quelques unes aux États-Unis.

Je vais écrire, travailler, essayer de faire un nouvel album.

 

… Tu pourrais aussi juste te reposer dans ta ferme ?

Oh je le ferai. Aucune inquiétude à ce sujet. (rires)

 

« Winter Games » est sorti le 6 décembre 2013 sur le label Clouds Hill.

Interview réalisée le 15 novembre.

Remerciements : Chris, Robert.

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