Big Thief

Un deuxième album cette année pour Big Thief.

Au printemps, Big Thief éditait « U.F.O.F », son troisième album, et offrait un des plus beaux disques de l’année, folk en lévitation totale. On s’apprêtait déjà à le faire figurer au tableau d’honneur de 2019 et nous n’aurions clairement pas été les seuls, l’album ayant, à juste titre, reçu sa part de louanges. Mais les New-Yorkais ne sont apparemment pas du genre à calculer et, plutôt que chercher à capitaliser sur ce tour de force, cinq mois plus tard, les voici avec un nouvel album, qui a été enregistré lors des sessions de « U.F.O.F » mais n’est ni une collection de prises laissées de côté à l’époque ou de titres non retenus au final mais bien un disque inédit à part entière. A la sortie d' »U.F.O.F », Adrianne Lenker, voix et guitare de la troupe, avait déclaré que la conception de ce troisième opus avait fait de Big Thief un groupe à part entière, chaque membre ayant été beaucoup plus impliqué dans tous les aspects de son élaboration et tous ayant passé du temps ensemble. Si cela se ressentait, on ne devinait toutefois pas que cette complicité et cohésion plus forte pouvait aller jusqu’à les faire enregistrer deux albums complets en une seule session de studio.

Ce constat est d’autant plus bluffant que « Two Hands » n’a rien d’un disque « récréatif » enregistré pour le fun une fois le vrai boulot terminé, même s’il offre un caractère différent d' »U.F.O.F ». Concrètement, Adrianne Lenker a qualifié « Two Hands » de petit frère « terrien » de « U.F.O.F », et on ne saurait mieux dire pour le décrire. « U.F.O.F » est en effet un album où tout est grâce, légèreté, sophistication sans ostentation, tandis que « Two Hands » est un album brut, chaque titre ayant été enregistré en prise directe. Cette démarche est d’autant plus sincère que la réussite totale d' »U.F.O.F » tenait dans sa part d’indicible, cette sensation que, sans jamais chercher à révolutionner le folk ou à remettre en cause ses fondements, Big Thief transcendait le genre en réussissant un album complètement hors du temps. « Two Hands » aurait donc pu être un album qui brisait la magie en ramenant Big Thief parmi le commun de ses semblables. Or, dans son exemplaire simplicité, il offre au contraire un autre regard sur la musique du groupe, sa cohésion nouvelle tant vantée et ses qualités intrinsèques.

Si, au tout début de la carrière de Big Thief, les autres membres de la troupe étaient avant tout là pour accompagner Adrianne Lenker, qui signait l’ensemble des morceaux, la donne est désormais inversée mais ne fait que mieux briller la plus value indéniable que leur chanteuse leur apporte. Sur « Two Hands », la batterie et les percussions sont ainsi très présentes, toujours à bon escient, et donnent un beau relief à Forgotten Eyes ou Two Hands. Les guitares sont un peu plus branchées que sur « U.F.O.F », tout en restant dans un registre apaisé, à peine troublé par le magnifique Not et sa montée finale. Et, tout en haut de ce bel édifice, Adrianne Lenker peut laisser éclater son chant habité, extrêmement charnel dans la franchise et la conviction qu’il dégage. Celle-ci démontre une fois de plus qu’on peut être doté de capacités vocales au-dessus de la moyenne et ne pas savoir chanter et que l’inverse est vrai. Car, au-delà de son timbre de voix et des modulations qu’il lui permet, c’est la présence d’Adrianne Lenker, le désir qu’on sent chez elle de chanter, sans esbroufe, qui fait la différence. Evidemment, « Two Hands » est le produit d’un groupe en pleine sève créatrice et, de moments contemplatifs, sur Wolf ou Those Girls à d’autres pleins de poésie et de douce mélancolie, notamment le superbe The Toy, ou exaltés, on pense à Forgotten Eyes ou Not, il n’y a rien à jeter. Plus de doute possible, 2019, c’est l’année Big Thief.