Thématique forte dans les mains de grands écrivains pour quelques superbes interprétations, un vrai bel album concept.
Grand Corps Malade a eu une idée forte et ambitieuse pour ce projet « Il Nous Restera Ça » : regrouper sa dream team du verbe français autour d’un thème musical, assez vague et mystérieux pour laisser la liberté à chacun d’apporter son talent. Vont se croiser musiciens, écrivains et acteurs. L’orchestration générale, de manière globale, va donner un vrai grain à l’album. Malgré tout, parfois, les goûts (Lino n’est clairement pas fait pour nous) ou la déception (Renaud, nous t’en prions, soigne toi, ta plume est toujours des plus percutantes) nous priveront d’une immersion totale dans l’univers de l’album et on ne pourra s’empêcher d’aborder l’opus comme une compil’. A ce titre, comme parti pris, nous nous attarderons sur les titres qui nous ont touché, ayant perçu dans le reste des éléments intègres dans le propos mais qui n’ont su nous emporter.
Quand Nous Aurons Cent Ans – Jeanne Cherhal
« J’espère qu’en bout de course, il nous restera ça »… Sur une orchestration mêlant piano épuré, tintements enchanteurs et basse brumeuse, l’artiste aborde les pertes progressives de capacités de tout humain dans son aspect inexorable. A force de toutes ces dégénérescences, l’oratrice compte sur l’impalpable que son couple à construit comme patrimoine immuable dont elle est encore maîtresse. Profitant d’une ambiance musicale superbement travaillée, quelque part entre l’indus froid et la pop porcelaine de Cocorosie, Jeanne Cherhal n’a aucun mal à nous faire adhérer à son propos et à son phrasé. Un titre qui trouve sa beauté dans le contraste, martialement émouvant.
Ecrire – Charles Aznavour
« Ecrire comme on parle et on crie, il nous restera ça »… Charles Aznavour sur indiepoprock, ça, c’est fait ! Accompagné d’un seul piano minimaliste, l’idole de nos parents (grands parents ?) va tout d’abord nous frapper par son interprétation. Dans une émotion contenue comme un cri du cœur qui ne demande qu’à sortir, le chanteur va dévoiler un pan de son art que l’on ne soupçonnait pas. Le ton est grave, l’impact sur chaque mot est fort, mais la fluidité reste inimitable. Fort de ce phrasé moins théâtral, Charles Aznavour va nous conter un texte puissant sur ce qui a fait sa vie, l’art d’écrire. Un champ lexical organique, sale, rude, virulent et iconoclaste, en un mot, humain, dans tout ce qu’il a de digressions. « Ecrire » est un morceau magnifiquement intemporel par son intensité de propos et d’interprétation. Une des plus grandes réussites de cet album.
Les années lumières – Fred Pellerin
« Ils virent s’élever […] le soleil, il nous restera ça ». L’écrivain québécois narre son conte qui a tout de l’histoire pour enfant dans sa construction. Dans une poésie précieuse et descriptive Fred Pellerin nous dévoile le contraste de la sagesse face à l’orgie, écologiquement et philosophiquement dévastatrice, des sociétés modernes, de l’urgence et de la propriété. Le poids lourd du thème n’handicapera jamais la beauté solaire du texte et de l’interprétation. Notamment grâce à une orchestration électronique tantôt contemplative, tantôt épique, l’auteur-interprète nous happe dans son tableau avec douceur et tendresse pour diffuser un message qui pourtant semble réellement le hanter. Les Années Lumières est une superbe performance (dans le sens rencontre des arts).
Pocahontas – Grand Corps Malade
« Il nous rest’ra ça j’en suis sur, cette indicible joie »… Ce titre, Grand Corps Malade aux manettes, n’est peut-être pas celui qui nous aura le plus fortement marqué par son orchestration ou son interprétation. Il est clair que vos anciennes sensations quant à la musique de l’artiste resteront inchangées à l’écoute de ce morceau, bien qu’on note tout de même une présence plus forte des instruments pratiquant une pop ramenant à celle de Fauve. Par contre le thème abordé, la famille et le cycle de la vie, touchera nombre de parents. Pratiquant une naïveté assumée tout le long du morceau, le slameur livre un texte léger et attendrissant. Encore une fois il y aura certainement une différence d’approche entre les parents et les non parents, mais quelle belle image que de définir la construction d’une famille dans le temps comme l’élaboration d’un « confort impalpable », d’une « béquille » autant que d’un « tremplin » .
Le Temps Des Tachyons – Hubert-Félix Thiéfaine
« Il nous restera ça, au moins de romantique. Quelques statues brisées sur fond de ruine gothique »… Le poète historique de l’underground français est à la baguette. Auteur de textes tant alambiqués que musicaux tels que Alligator 427 ou Les Dingues Et Les Paumés comme des dizaines d’autres, HFT se fend encore une fois d’un texte puissamment métaphorique qui laisse à l’auditeur toute la liberté d’interprétation. A titre personnel, le morceau découvert le 14 novembre 2015 a trouvé un écho particulièrement frappant à l’ambiance du moment. Détaché de l’approche très bluesy/rock de ses derniers albums, le chanteur déclame son lyrisme désabusé basé sur des allitérations fuyantes, nous plongeant dans un no man’s land post-apocalyptique qui trouve tant d’accointances avec notre époque. Un titre qui prouve, s’il en était besoin, que malgré des décennies de carrière, notre homme a encore de nombreux bijoux qui sommeillent en lui. La composition musicale encore une fois minimaliste, mais dont le côté opportun confine à la perfection, renforce la puissance brumeuse, froide, polluée qui transpire des mots de l’auteur. Un morceau majeur, non seulement de l’album, mais de l’année 2015 également.
Nos Mots – Luciole
« Nos mots comme continents, il nous restera ça »… Face à l’impossibilité d’ancrer définitivement son existence dans l’instant, de garder en souvenir la vision parfaite du moment, Luciole ne compte pas sur l’image, mais sur les mots. Répétant inlassablement le même schéma musical (bjorkien sur les bords) et la même structure de phrases, la chanteuse énumère les situations qui la rendent impuissante, dans lesquelles elle cherche un appui, quelque chose de gravé dans le marbre. A chaque fois la même conclusion inaliénable : Luciole interprète une ode, monotone, à la communication, au verbe.
L’Ours Blanc – Erik Orsenna
« Quand l’air sera si chaud que la mer avalera les rivages il nous restera ça. »… Encore une fois, un écrivain s’attaque aux problématiques écologiques qui, il est vrai, semblent s’intégrer à merveille au thème de l’album. Au contraire de Fred Pellerin, Erik Orsenna opte pour une prose saccadée, rude. Le corpus en appelle au moite, au dégoulinant et à l’écrasant. Musicalement, il s’agit du titre dont la partie vocale a été la plus « produite » avec l’intégration d’effets grossissant le trait pesant de l’ambiance, le climat lourd que nous dépeint le texte. Mais ce qui marque l’oreille de l’auditeur c’est bien le piège que nous tend l’orchestration avec ses sonorités rappelant les boîtes à musiques d’enfants proprement tranchées par une percussion implacable et récurrente. N’oubliant pas, enfin, de disséminer quelques vers mystérieux, l’écrivain livre un pamphlet sec qui ne laisse pas l’auditeur passif.
Grand Corps Malade intervient régulièrement dans l’album avec quelques textes ponctuant les apparitions de ses acolytes avec les qualités d’écriture qu’on lui connait.
Au final, tout ne nous aura pas plu dans cet album, Renaud, notamment est un réel crève-cœur même si l’on note la résurgence du talent naturel d’écrivain. Malgré cela, l’emballement des sensations qu’a suscité l’écoute de nombreux titres justifie amplement que l’on fasse la promotion de ce très bel album.
S’il ne devait en rester qu’un titre : Le Temps Des Tachyons – Hubert-Félix Thiéfaine.
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- Publication 1 067 vues13 janvier 2016
- Tags Grand Corps MaladeVarious ArtistsBelieve
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