Le groupe de Bristol déjà de retour. Pour corriger le tir ?
En quelques années et trois albums, le groupe de Bristol mené par Joe Talbot est devenu outre-manche la figure de proue du renouveau post-punk, plus encore sans doute parce que la formation n’hésite pas à mettre les pieds dans le plat en termes d’engagement politique et sociétal. Une posture qui, on le sait, est à double tranchant, le risque étant à la fois de devenir un modèle pour ceux qui se reconnaissent dans les propos tout en concentrant les attaques d’autres et de se retrouver propulsé porte-parole de certaines opinions. « Ultra-Mono », l’album paru l’an dernier, n’avait pas manqué de soulever la controverse et Idles, qui dénonçaient sans détours le populisme et le racisme, sans épargner personne, s’étaient vus traités de petits bourgeois qui méprisaient les classes populaires sous couvert de fibre sociale par d’autres artistes, notamment Sleaford Mods. Un débat comme l’Angleterre n’en avait plus connu depuis longtemps. Un débat en partie à l’origine de la sortie de « Crawler » à peine un an après la sortie d' »Ultra-Mono » ? On a le droit de le penser. Sans battre sa coulpe ou revenir sur les propos qu’il avait pu tenir dans les paroles de l’album ou à l’époque de la sortie de celui-ci, Joe Talbot avait reconnu que ses comparses et lui avaient urgemment besoin de se recentrer sur eux-mêmes.
« Crawler » est ainsi un album plus personnel et, dans le texte, plutôt que pointer le doigt et dénoncer, Idles tiennent le journal de ce qu’était devenu leur quotidien. Excès en tout genre, abus d’alcool et autres substances, avec le risque d’exploser en vol, mais aussi blessures intimes. Le changement d’approche ne se limite toutefois pas aux paroles. Sur « Ultra-Mono », Idles avaient adopté un rythme assez proche du rap, répété à l’envi tout au long de l’album. Ce qui faisait sa force et un peu sa limite sur le long terme, le manque de variations ou de respirations en faisant un album auquel on revenait avec parcimonie. MTT 420 R, qui ouvre l’album, offre d’emblée autre chose. Une intro avec une basse qui gonfle doucement, hommage volontaire ou pas au « Mezzanine » de Massive Attack qui s’ouvrait peu ou prou de la même façon, un rythme qui reste maîtrisé, un chant intériorisé, on sent immédiatement que « Crawler » est une nouvelle étape. Une nouvelle étape mais pas une rupture car, selon Joe Talbot, tout était plus ou moins prévu puisqu’il n’a pas hésité à dire qu »Ultra-Mono » présentait une face outrancière de ce qu’ils étaient pour qu’ils puissent mieux rompre avec elle.
Quel que puisse être le degré de véracité de ces affirmations, se retrouver en milieu d’album avec un titre comme The Beachland Ballroom, sorte de blues à la fois brutal et langoureux sur lequel le chant tour à tour grondant et vulnérable de Joe Talbot fait merveille, est un vrai bonheur. Parallèlement, le groupe n’a rien perdu de sa puissance et de sa radicalité sur des titres comme Car Crash ou The New Sensation, et parvient même à y glisser une touche de cette musicalité canaille qui fait basculer sans crier gare des titres au départ plein de sécheresse formelle en hits fédérateurs au détour d’un refrain à reprendre en choeur à gorge déployée. On pense à Crawl!, on salue aussi l’audace d’un titre comme Progress qui ressemble presque à un remix electro. « Crawler » est ainsi la réponse parfaite à tous ceux qui craignaient ou prédisaient qu’Idles étaient en passe de glisser dans une logique, idéologique ou musicale, qui finirait fatalement par devenir un carcan. Le groupe de Bristol n’a rien perdu de sa superbe, vient certainement de publier son meilleur album et garde la même verve salutaire qui annonce de sacrés bons moments à passer en live en 2022.
- Publication 1 196 vues29 novembre 2021
- Tags IdlesPartisan Records
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