Deux ans s’écoulent entre "Marry Me" et son successeur, "Actor" (2009). Dans la bouche d’Annie Clark, un mot supplante alors tout les autres : « magie ». L’énergie de New-York, où la jeune femme originaire de Dallas (Texas) vit à présent ? Magique. La bande originale néo-classique du film Disney "Sleeping Beauty", qui inspira de nombreux sons sur son […]
Deux ans s’écoulent entre "Marry Me" et son successeur, "Actor" (2009). Dans la bouche d’Annie Clark, un mot supplante alors tout les autres : « magie ». L’énergie de New-York, où la jeune femme originaire de Dallas (Texas) vit à présent ? Magique. La bande originale néo-classique du film Disney "Sleeping Beauty", qui inspira de nombreux sons sur son second album ? Magique. Découvrir une mélodie qui fonctionne ? « Oh, c’est magique ». Elle évoque ainsi les choses qui nourrissent aussi bien le cœur que l’esprit. Elle trouverait également magiques les bandes originales enregistrées par Danny Elfman pour Tim Burton. Son apparence gracile, ses boucles, la pâleur de son teint et surtout son regard, presque dénué d’expression, sur la pochette de "Marry Me" puis sur celle d’"Actor", le deuxième album de St. Vincent, la font ressembler à l’une de ses marionnettes auxquelles le cinéaste insufflait la vie dans ses films d’animation.
"Actor" fut l’objet d’un regain d’intérêt important pour le travail de Clark. C’est à cette période que de nombreux nouveaux admirateurs la découvrirent. Allmusic, l’influent site américain qui vise l’exhaustivité et la justesse critique, décrivit l’artiste en ces termes : « Annie Clark est un talent unique : elle est autant musicienne qu’auteure de chansons, ses sons comme ses mots ne font pas de compromis malgré leur délicatesse. Elle mélange rock, jazz, musique électronique, et touches classiques si naturellement que cela semble naturel. Aussi adorables que ses mots et sa voix puissent être, elle est trop étrange et trop maligne pour être seulement séduisante. » Sa signature avec le label britannique emblématique 4AD avant la sortie de l’album a sans doute contribué, en l’associant à une scène de qualité, à sa découverte par un public plus large. 4AD est en effet associé à la scène pop et rock d’inspiration romantique des années 1980, tels This Mortal Coil, Bahaus, les Cocteau Twins ou Dead Can Dance, et a su préserver son esprit indépendant jusqu’à aujourd’hui à travers les signatures d’Atlas Sound, Deerhunter ou Twin Shadow. "Actor" fut commenté avec plus de précision et d’excitation que son prédécesseur, auquel il fut comparé. Annie Clark, elle fut apparentée à David Byrne (Talking Heads), David Bowie encore et toujours, Peter Gabriel et Beth Orton, des gens qu’elle « respecte et qu’elle admire », tout en notant, interrogée, sur le blog Denver Westword, son intérêt particulier pour une chanson comme Wuthering Heights, de Kate Bush.
Pour beaucoup, les visages inhabituellement exposés des jaquettes accentuaient l’ambigüité des œuvres en connotant l’existence de sentiments inavouables. « C’est une superposition de cruel et d’aimable. Les arrangements, baroques, sont encore plus apprêtés qu’avant et sa voix est plus belle, ceux-ci et celle-là soulignant les courants obscurs qui sous-tendent ses chansons. » Dans ce jeu de signifiants, "Actor" introduit par la pochette la couleur – orange – pour dénoter un art plus vivant, plus vibrant, plus intense. La persistance du portrait conserve cependant le mystère.
Sur "Actor", Annie Clark accolait à des cordes cinématiques des sonorités et des rythmes plus minimalistes et inquiétants. Les moments les plus inconfortables venaient avec les mélodies les plus douces, et inversement. Laughing with a Mouth of Blood, malgré son titre violent, contient les passages les plus mielleux de l’album. La nouvelle musicalité mettait ainsi en valeur les oppositions qui donnaient sens à son œuvre, les rendant décelables même pour un auditeur moyennement attentif. « L’album joue des contrastes, pouvait-t-on lire dans Entertainment Weekly, « Clark laissant sa voix de chorale d’église s’attarder sur des paroles qui s’en prennent sombrement aux thèmes de la violence, du sexe, et du chaos général ». Une interprétation extrême pour un disque enregistré dans une sérénité retrouvée. « Je suis revenue d’un an et demi de tournée, et mon esprit était usé », racontera Clark. « J’ai ainsi commencé à regarder des films, dans un processus pour me faire redevenir humaine. Et ça s’est mis à influencer le disque entier. » "Actor" laisse entendre que ‘redevenir humain’ ne débarrasse pas de la confusion, mais ne fait que la transfigurer. Cet embrouillement suscité par une longue fuite vers les salles de concert s’écrit en chansons. La sophistication sonore d’"Actor" peut dissimuler dans un premier temps la sensualité et la sensibilité intenses de l’album. Les paroles évoquent souvent un souffle qui s’accélère, un cœur qui bat la chamade et toujours l’appréhension. « Ses personnages s’inquiètent du jugement de ses voisins et des étrangers, tentent de sublimer ou de désamorcer leur colère, et dans un des moments les plus sombres de l’album, fantasment à l’idée de se fondre totalement dans une nouvelle identité. »
Une autre originalité d’"Actor", c’est son mode de composition, majoritairement à l’aide d’un ordinateur, avec Garageband, le logiciel de création musicale développé par Apple et généralement destiné aux amateurs. Clark expliquait en partie ce choix par l’influence de ses voisins, qui rechignaient à l’entendre jouer de la guitare à travers la cloison de son appartement. Que ceux qui pensaient qu’une telle pratique ne pouvait donner de résultats probants se détrompent. Le procédé n’a pas altéré les qualités d’écriture, mais a sans doute participé au timbre légèrement étouffé des chansons.
- Publication 661 vues26 février 2012
- Tags St. Vincent4AD
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St. Vincent sur la route
Tracklist
- The Strangers
- Save Me from What I Want
- The Neighbors
- Actor Out of Work
- Black Rainbow
- Laughing with a Mouth of Blood
- Marrow
- The Bed
- The Party
- Just the Same But Brand New
- The Sequel