Nouvel album du collectif montréalais, pour mieux embrasser l'état du monde dans son ensemble.
Un nouvel album de Godspeed You ! Black Emperor alors que le monde est toujours en pleine pandémie et au sortir d’une année où le chaos aura été plus que jamais prévalent. On devine déjà que beaucoup imaginaient « G_d’s Pee At State’s End ! » comme une bande-son apocalyptique, l’état du monde n’ayant peut-être jamais été aussi proche de celui que le collectif canadien dépeint dans ses disques. Car, et c’est bien là la démonstration éclatante de la réussite du mode d’expression que Godspeed You ! Black Emperor impose depuis ses débuts, si les albums du collectif sont dénués de chant et donc de paroles, si le groupe ne s’exprime jamais dans la presse, hormis à de très rares exceptions, personne n’ignore toutefois que le groupe honnit le capitalisme et ses ravages, nationalisme et militarisme, dénonce la destruction de notre environnement… Plus que n’importe quel autre groupe, Godspeed aura poussé le médium musical à son paroxysme pour nous faire ressentir tout ce qui les habite.
Pour être un tant soit peu crédible, leur démarche devait se parer d’une intransigeance totale. Une intransigeance à laquelle ils n’ont absolument jamais dérogé. C’est ainsi qu’en 2004, quand, en dépit de tous leurs efforts pour garder le contrôle, ils ont senti que ce qu’ils incarnaient pouvait leur échapper et devenait en outre l’objet des fantasmes les plus délirants, ils ont préféré se mettre en mode pause sans définir à l’avance combien de temps elle durerait. Quand ils ont décidé de reprendre le fil au début des années 2010, le monde ne tournait pas plus rond, bien au contraire. A cette époque, la musique de Godspeed avait gommé ses aspects les plus lyriques pour céder toute la place ou presque à la tension et à la colère. La moitié du temps, la musique s’effaçait même complètement au profit de longs drones menaçants. Alors aurait pu surgir un malentendu : considérer que Godspeed faisait son miel de la marche macabre du monde. Mais si on avait eu affaire à une bande de cyniques poseurs, pourquoi auraient-ils volontairement brisé leur élan pendant sept longues années ?
« Luciferian Towers », paru en 2017, avait ébauché une autre approche : l’album avait célébré le plein retour de la musique et, surtout, avait laissé entrer un éclat nouveau, plus lumineux qui nimbait les moments les plus épiques du disque. Alors pourquoi cette évolution ? Dans le propos liminaire qui a accompagné l’annonce de la sortie de « G_d’s Pee At State’s End ! » le groupe mentionne que ceux qui annoncent depuis de nombreuses années la fin de notre civilisation disaient « elle approche » et disent désormais « on y est ». Avec ce nouvel album, Godspeed a décidé de les prendre au mot, avec une philosophie qui les éloigne de l’étiquette de prophètes de l’apocalypse qu’on aurait parfois aimé leur coller. Car, en gros, si la fin est là, soit tout va se terminer prochainement, soit on est au début d’autre chose. C’est l’idée qui sous-tend ce nouvel album et une fois encore Godspeed l’incarne avec une virtuosité absolument bluffante.
Sans aucunement remettre en question ses bases musicales, le collectif donne vie à quatre grands mouvements qui, plutôt qu’osciller entre beauté noire, tension et colère cataclysmique, embrasse tout cela en même temps, sans jamais oublier d’y ajouter une touche d’espoir. Our Side Has To Win referme l’album et incarne avec une beauté bouleversante cette approche. Le violon de Sophie Trudeau est à la manoeuvre et s’étire d’abord en un long accord plaintif et vaguement angoissant. Mais, dans une inflexion subtile, il laisse transparaître un rai de lumière magnifique auquel il fait bon s’accrocher. Avant cela, les guitares ont eu la partie belle sur Job’s Lament et First Of The Last Glaciers pour mieux exprimer le dépit de voir s’installer la misère sociale, notre environnement se dégrader de manière inéluctable. Mais, sans rien perdre de sa force et de sa puissance, le collectif, quand la musique s’emballe, opte pour un souffle parfois presque psyché quand un orgue se mêle à l’ensemble, ou pour des accords fédérateurs plutôt que dissonants ou implacables. A la fois mélancolique, belle à pleurer, tendue et apte à faire gonfler le coeur d’espoir, la musique de Godspeed You ! Black Emperor prend avec cet album une dimension universelle, d’une humanité essentielle. Et, encore une fois, le message véhiculé nous rappelle combien la musique est précieuse. Car, dans les moments les plus sombres, c’est souvent elle qui nous raccroche à la vie.
- Publication 2 623 vues23 avril 2021
- Tags Godspeed You! Black EmperorConstellation
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Godspeed You! Black Emperor sur la route
Tracklist
- Get You To The Moon (8D Audio)