Godspeed You! Black Emperor

Le collectif de Montreal reprend son épopée lyrique.

Les clichés et les a priori ont la vie dure. Si, sur ses derniers albums, Godspeed You! Black Emperor s’est échiné à faire entrer la lumière dans sa musique tortueuse, les voir revenir avec un disque qui affiche, au moment de la fin de son enregistrement, le décompte des morts à Gaza depuis l’offensive israelienne suite aux massacres du 7 octobre 2023 a tout pour laisser à penser qu’on va repartir pour un nouveau manifeste sombre et tragique comme ils pouvaient en produire dans la première partie de leur carrière.

En milieu d’album, Broken Spire In Dead Kapital, drone inquiétant qui laisse ensuite place à un violon dissonant soutenu par des percussions intermittentes sur le début de Pale Spectator Takes Photographs installe un climat de désolation, renforcé par des scories de guitare électrique, et tout concourt à faire naître devant nos yeux des images de lieux dévastés où ne subsistent plus que ruines et gravats fumants. Pas de doutes, la résurgence de la guerre et du fracas des bombes rôde sur « No Title… » et Godspeed n’a aucun égal pour en traduire en musique les effets de sidération et de drames produits. Mais si ce long morceau de 11 minutes est aussi saisissant, c’est aussi parce que, sur celui-ci, GYBE renoue avec un souffle lyrique qu’on ne leur avait plus connu depuis « Lift Your Skinny Fists… » il y a près de vingt-cinq ans. Qaunt à Grey Rubble – Green Shoots, qui referme l’album, il démarre par un mouvement où les cordes virevoltent au-dessus de guitares implacables et sentencieuses avant de se faire soudain adoucies et mélancoliques, plus encore quand le violon revient jouer quelques accords en équilibre fragile entre beauté et tristesse. Mais une tristesse bouleversante et lumineuse. Avant cela, le collectif s’est lancé dans un exercice assez inédit pour lui avec Babys In A Thundercloud, qui voit des guitares acérées s’emparer d’une boucle mélodique qui va gonfler, redescendre quelque peu puis repartir de plus belle sur un final échevelé, sans pour autant finir en cataclysme ni dévier de son motif initial.

Alors que nous dit Godspeed You! Black Emperor avec ce disque qui embrasse tout à la fois la lumière et l’obscurité, la radicalité et le lyrisme, évoque des résurgences d’un glorieux passé et s’essaie à de nouvelles dynamiques ? Peut-être que sa musique est comme le monde. Il avance, s’arrête, redémarre, donne parfois l’impression de reculer et de renouer avec ce qu’il a produit de pire, mais l’avenir reste incertain et il faut continuer de l’accompagner du mieux possible. C’est peu dire que les Canadiens ont du talent pour illustrer cela.