Le collectif de Montreal plus que jamais en mouvement.
Résumé des saisons précédentes : Godspeed You! Black Emperor émerge à la fin des années ’90 avec son premier album, superbe manifeste instrumental de poésie urbaine, où les seules voix sont celles des gens que croisent le collectif dans leur quartier de Mile end à Montréal. Dans la saison 2, le collectif édite un EP et deux autres albums entre 1999 et 2002 et devient un objet de culte, pour sa musique, qui mêle la colère élémentaire du rock à l’épique des symphonies de Wagner, comme pour sa démarche, qui consiste à refuser toute communication classique, toute promotion de son image, pour s’effacer derrière sa musique et quelques messages liminaires qui les voit dénoncer le capitalisme sauvage et toutes formes de violence et d’oppression. Mais cette attitude se retourne contre eux et, en 2003, le collectif préfère entrer dans un hiatus indéterminé plutôt que devenir l’objet d’allégations délirantes sur ce qu’ils sont et cherchent à véhiculer. En 2011, saison 3, une crise financière mondiale est passée par là, un mouvement de protestation émerge au Canada et, enfin, le groupe se sent prêt à annoncer son retour, sur scène d’abord, puis avec un nouvel album en 2012. Mais si le groupe excelle toujours dans les climats épiques et une intensité sonore inégalable, le lyrisme symphonique a disparu pour laisser place à une radicalité et une aridité plus en phase avec des sociétés ou tout peut basculer à tout moment. Dans la saison 4, le groupe édite en 2015 un nouvel album, « Asunder, Sweet & Other Distress » plus abstrait dans le message mais peut-être plus limpide dans sa forme. On y sent en effet une volonté de faire collaborer ombre et lumière, de préparer le terrain pour un avenir forcément plus incertain que jamais.
Cette année, Godspeed You! Black Emperor écrit sa saison 5 et, cette fois, dans le message, on ne taxera pas le collectif de se montrer énigmatique ou abscons puisque la raison d’être de chaque morceau est exprimée sans détours. « Luciferian Towers » est donc un album abreuvé des grands défis qui nous menacent : le repli identitaire, la destruction de notre environnement, la financiarisation à outrance de l’économie… Evidemment, certains ne manqueront pas de pointer de la naïveté ou de la démagogie, sauf que, de près ou de loin, ce sont des questions qui, à un moment ou un autre, finissent fatalement par nous rattraper. En outre, Godspeed You! Black Emperor ne se sont jamais définis comme des prophètes du malheur et s’attellent à la seule forme de résistance qui vaille, toucher le coeur des gens avec l’unique forme d’expression à leur disposition, la musique. Musicalement, justement, on sent poindre avec Undoing A Luciferian Towers une sincère aspiration à la lumière. Les guitares vrombissent, la puissance de feu est intacte, viennent se mêler des cuivres inédits qui donnent une touche de frénésie à l’ensemble avant qu’un thème mélodique aéré fasse monter le morceau vers le ciel plutôt que vers l’abîme. Thème mélodique qui revient d’ailleurs plus loin, en fond, dans le final de Bosses Hang, découpé en trois mouvements. La tension est palpable, le collectif est constamment à fleur de peau, des boucles se répètent à l’envi, mais le cataclysme ne vient pas. Et à quoi bon ? serait-on enclins à nous demander. A chaque accord, chaque phrase musicale, la puissance inégalable de Godspeed offre intensité et souffle. Le collectif laisse aussi de côté les drones inquiétants qui hantaient ses deux précédents albums pour renouer avec une musicalité et un lyrisme plus affirmés. Pour autant, Godspeed ne revient pas non plus aux grands mouvements symphoniques qui ont fait sa gloire et sa réputation au début des années 2000. En cela, et comme on le pressentait avec « Asunder, Sweet & Other Distress », qui sur la forme ébauchait une volonté de faire table rase des colères passées pour penser la suite, Godspeed You! Black Emperor ouvre un nouveau chapitre, à coups de morceaux sur lesquels une force abrupte et non policée rencontre la beauté.
La meilleure illustration en sont les trois mouvements de Anthem For No State, qui s’ouvre sur une pièce fragile, pure comme un rayon de soleil qui annonce un jour nouveau avec une ligne de violon bouleversante. Après un second mouvement qui prolonge la magie et remet progressivement l’ensemble du collectif en ordre de marche, l’album se conclut sur huit minutes épiques où guitares grondantes, cordes tour à tour dissonantes et virevoltantes et batterie implacable mettent tout le monde d’accord. Si « Luciferian Towers » s’annonce déjà comme un album important, c’est que, comme à chaque fois, il synthétise au mieux son époque : car, et c’est là le génie de Godspeed You! Black Emperor, même sans la moindre parole, il émane de ce disque un désir de révolte et de vie, une exaltation propre à ceux qui n’ont que leur innocence et leur intégrité à opposer au désordre du monde, avec chevillé au corps le refus de sombrer dans le nihilisme et la volonté farouche de croire que les combats désespérés sont les seules dignes d’être menés.
- Publication 2 305 vues21 septembre 2017
- Tags Godspeed You! Black EmperorConstellation
- Partagez cet article
Godspeed You! Black Emperor sur la route
Tracklist
- Undoing a Luciferian Towers
- Bosses Hang, Pt. I
- Bosses Hang, Pt. II
- Bosses Hang, Pt. III
- Fam/Famine
- Anthem for No State, Pt. I
- Anthem for No State, Pt. II
- Anthem for No State, Pt. III