Toujours à la recherche de la formule perdue depuis près de quinze ans, Interpol retente sa chance.
Interpol est un groupe à l’ancienne. Pendant longtemps, le second album d’un groupe révélé avec son premier opus a été vu comme une pierre d’achoppement, l’album avec lequel ledit groupe devait confirmer sans se répéter, évoluer sans tout briser, etc… Aujourd’hui, si ce concept n’a pas disparu, l’évolution de la diffusion de la musique fait que nombre de groupes sont déjà bien installés quand leur premier album paraît et ont entamé la suite avant même de savoir comment il sera reçu. Mais « Turn On The Bright Lights », le premier album d’Interpol, est paru en 2002, autrement dit, à l’échelle de l’évolution du monde de la musique, à une autre époque, et, depuis, le groupe s’échine à lui pondre un successeur digne de son rang, plutôt en vain. En quinze ans, on a ainsi eu droit à tout : désaffection d’une partie des membres, annonces par le groupe lui-même qu’il avait enfin retrouvé le son de ses débuts, escapades en solo peu convaincantes, hiatus avant annonce de retour… Bref, si aujourd’hui, cahin-caha, Interpol publie son sixième album, symboliquement, ils en sont encore à tenter de réussir le second. Ce n’est ainsi pas un hasard si l’annonce de la publication de ce nouvel album s’est faite alors que le groupe était en tournée pour célébrer les quinze ans de la sortie de « Turn On The Bright Lights », ce fameux premier album qui a fait leur bonheur et leur malheur.
Pour réussir un pari qui, au fil du temps, devient de plus en plus improbable, Interpol, qui a souvent fonctionné en vase clos, est allé chercher quelqu’un d’extérieur pour produire « Marauder », et pas n’importe qui puisqu’il s’agit de Dave Fridmann. Un choix qui, là encore, interpelle : car si Dave Fridmann est une grande figure du rock indé, on l’associe avant tout à la réussite des meilleurs albums de Mercury Rev, des Flaming Lips ou d’Ed Harcourt, entre autres, tous parus à la charnière de la fin des années ’90 et des années 2000. Loin de nous l’idée d’insinuer que Dave Fridmann est un has-been mais, encore une fois, ce choix donne le sentiment qu’Interpol a besoin de se rassurer et d’évoluer avec des gens qui étaient au firmament de leur notoriété et de la maîtrise de leur art à la même époque qu’eux. De fait, l’apport de Dave Fridmann au son d’Interpol s’avère marginal : un peu plus de nervosité peut-être avec une place plus importante accordée à la batterie et moindre à la basse, aspect qui gomme le côté cold wave pour privilégier une approche plus directe, plus « rock ». A côté de cela, les accords de guitare sur It Probably Matters, The Rover ou Flight Of Fancy placeront ceux qui connaissent la discographie d’Interpol en terrain (plus que) connu.
En ce qui concerne l’écriture des morceaux, Paul Banks a dit avoir changé d’approche sur cet album en abordant, notamment dans les textes, des sujets directement en phase avec son affect, ses pensées, quand, avant, il préférait jouer de l’abstraction et de la prise de distance. Si l’intention est louable, encore une fois, cette dimension n’apparaît pas de façon évidente dans le rendu final. Hormis peut-être sur l’inaugural If You Really Love Nothing, sur lequel Paul Banks s’essaie à un chant légèrement ampoulé, psyché, il adopte sur l’ensemble de l’album un phrasé qu’on lui a toujours connu, en léger contrepoint du rythme, entre parlé et chanté, évoquant cette fameuse distance avec laquelle il est censé cette fois avoir rompu… Et puis, fatalement, apparaît le constat, déjà établi de nombreuses fois, à savoir qu’Interpol n’a qu’une corde à son arc et n’a tout simplement pas le potentiel pour renouveler une formule qu’ils auront délayé avec brio le temps d’un album. Car les dynamiques du groupe ne font que se répéter avec la même raideur, la même morgue, oserait-on dire. Un accord de guitare pour donner le tempo, des couplets tendus, un refrain sentencieux. Dans les meilleurs moments, sur The Rover, Flight Of Fancy, on peut apprécier de se retrouver en terrain connu mais d’écouter un morceau efficace et bien exécuté. Le reste du temps, quand dominent raideur et manque d’inspiration criant, on s’ennuie. Stay In Touch, Mountain Child, entre autres, sont ainsi des morceaux qui ne servent à rien. Une fois pour toutes, « Marauder » vient sceller le statut d’Interpol depuis quinze ans : un groupe qui entretient la flamme d’un premier album passé à la postérité, faute de mieux.
Interpol sur la route
Tracklist
- If You Really Love Nothing
- The Rover
- Complications
- Flight of Fancy
- Stay In Touch
- Interlude 1
- Mountain Child
- NYSMAW
- Surveillance
- Number 10
- Party's Over
- Interlude 2
- It Probably Matters