"> Bill Callahan - Gold Record - Indiepoprock

Gold Record


Un album de sorti en chez .

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Second acte de la troisième vie de Bill Callahan.

Combien de vies symboliques Bill Callahan a-t-il déjà vécues, on ne saurait répondre à sa place mais, musicalement, on peut au moins en distinguer trois. Du début des années ’90 à 2007, le songwriter américain évoluait sous le patronyme de Smog et se forgeait une image de mélancolique chronique pour qui la musique était une manière de ne pas sombrer. Dans les meilleurs moments, l’exploration de ce mal de vivre était magnifique, d’autres fois, quand l’atmosphère se faisait un peu irrespirable et virait à la neurasthénie, on se permettait de faire doucement l’impasse en attendant la suite, qui ne tardait de toute façon jamais à arriver. A partir de 2007, Bill Callahan s’est mis à publier son sous son nom propre et a entamé sa seconde vie musicale. Sans renier son identité folk, Bill Callahan découvrait la lumière et une certaine « légèreté », et offrait de nouvelles nuances à son oeuvre. Et, même quand la mélancolie le rattrapait, il n’y avait pas de retour an arrière car, de mélancolique chronique qui se raccrochait à la musique, Bill Callahan était devenu un colosse capable de prendre du recul sur lui-même et de narrer avec une sagacité désarmante les états d’âme qui l’agitaient. Sa musique, en outre, bénéficiait subtilement d’une palette plus large et chacun de ses albums était une oeuvre majeure. Sa troisième vie musicale a démarré l’an dernier avec « Shepherd In A Sheepskin Vest » et marquait plusieurs évolutions. D’abord, alors que, pendant près de vingt ans, Bill Callahan nous avait habitués à un rythme de publication quasi-annuel, ce nouvel album mettait fin à un hiatus de six ans. Un trou dans n’importe quelle carrière musicale, un gouffre à son échelle. Mais cette troisième vie musicale n’a failli jamais voir le jour puisque, sur le plan personnel, Bill Callahan avait trouvé l’amour et eu un enfant, rompant définitivement avec son image d’éternel solitaire d’abord inapte au bonheur, devenu au fil du temps le meilleur chroniqueur de tout ce qui peut empêcher d’être heureux si on n’y prend garde.

Logiquement, Bill Callahan s’était demandé si continuer à écrire des chansons avait encore du sens. Alors bien sûr, à la publication de « Shepherd… », la majorité des critiques ont argué que, pour Bill Callahan, se poser la question était déjà une manière d’y répondre, et n’ont pas manqué de louer sa capacité à chroniquer cette nouvelle étape de son existence avec la lucidité, la sagacité et la causticité qui le caractérisent. Pourtant, même si effectivement tous ces aspects étaient là, « Shepherd In A Sheepskin Vest » fut une déception. Musicalement, Bill Callahan était revenu à une sécheresse formelle, délaissant les petits à-côtés subtils derrière sa voix et sa guitare qui avaient tant contribué à la beauté de ses meilleurs albums, l’inspiration mélodique était réduite au strict minimum et les (nombreux) morceaux de l’album s’enchaînaient dans une certaine monotonie. Surtout, il y avait quelque chose dans le propos qui mettait un peu mal à l’aise. Car, dans ses deux premières vies, Bill Callahan, en dépit de la forme apaisée de son art, produisait des disques de combat. Transformer une mélancolie poisseuse en énergie créatrice était un combat. S’extraire de sa nature profonde, ne pas la laisser reprendre le dessus sans la renier, c’était un combat. Mais, sur son dernier album, Bill Callahan se donnait l’image d’un type finalement heureux de son sort, sans trop se faire d’illusions, mais qu’on ne sentait pas prêt à livrer de nouvelles batailles. Bref, à l’insu de tous ou presque, Bill Callahan avait perdu une partie de lui-même.

La parution de « Gold Record » une petite année tout juste après celle de « Sheepskin…. » a donc un aspect rassurant dans la mesure où elle confirme que Bill Callahan ne se demande plus si écrire des chansons a encore une utilité et qu’il a de nouveau du coeur à l’ouvrage.  Sa forme plus ramassée, en dix titres et quarante minutes, est elle aussi un bon présage, car c’est celle dans laquelle il s’exprime le mieux, la plus garante de son art de l’épiphanie, nettement préférable à une tentative de générosité ou de trop-plein qui au final génère surtout de l’uniformité. On comprend ensuite rapidement que « Gold Record » est un successeur formel de « Sheepskin… » naturel, avec voix et guitare acoustique en avant, ce qui le fait glisser vers la country. C’est aussi une bonne nouvelle, car cette approche confirme qu’avec « Sheepskin…. », Bill Callahan ouvrait un nouveau chapitre musical et qu’il est déterminé à l’étoffer. Le voir revenir en arrière aurait très certainement confirmé qu’il était dans une impasse et en quête d’un nouveau souffle. En outre, l’écoute de titres comme The Mackenzies, Breakfast ou Cowboy ne tardent pas à confirmer que l’écriture mélodique est redevenue une priorité. Inflexions de la voix, petits sifflements par ci, toute une somme d’infimes détails font de chaque titre de « Gold Record » une pièce qui vit pour elle-même en étant partie d’un tout. Enfin, à toutes petites touches, la musique prend davantage de relief avec la présence d’une trompette, d’une caisse claire, d’un sax, et la magie opère de suite. Dans le propos, « Gold Record » rompt avec le fatalisme latent de « Shepherd In A Sheepskin Vest ». D’abord, même si on ne doute jamais que c’est de lui qu’il nous parle, Bill Callahan redevient un narrateur au sens premier du terme en donnant à ses morceaux la forme de petites nouvelles dans lesquelles ses personnages ne font rien de plus que l’expérience et l’apprentissage du quotidien et de ce que la vie peut offrir. En faisant cela, Bill Callahan renoue avec la prise de distance, régénère son écriture et redevient un songwriter essentiel avec un nouveau combat : trouver de la grandeur dans le banal, des expériences bouleversantes dans l’anecdotique.

Rédacteur en chef

Tracklist

  1. Pigeons
  2. Another Song
  3. 35
  4. Protest Song
  5. The Mackenzies
  6. Let's Move To The Country
  7. Breakfast
  8. Cowboy
  9. Ry Cooder
  10. As I Wander