Nouvel album de Bill Callahan.
Il faut reconnaître à Bill Callahan qu’il est un des artistes qui incarnent le mieux le fait d’être sans cesse en mouvement tout en gardant à sa musique un caractère immuable. Car, au-delà de la permanence de sa voix profonde toujours à la limite du parlé, de ses chansons ancrées dans une tradition folk/country, l’Américain a toujours réussi à insuffler quelque chose de nouveau à chaque album. Noirceur faite d’arrangements tendus qui succédaient à un disque tout en pureté acoustique à l’époque de Smog, albums baignés de lumière aux arrangements discrètement virevoltants avant un retour à une mélancolie onirique depuis qu’il évolue sous son nom propre. Après son hiatus de six ans, Bill Callahan était revenu en mode plus dépouillé que jamais musicalement, monocorde mélodiquement et, sur le fond, le plus « neutre » qu’on ait jamais connu. « Shepherd In A Sheepskin Vest » nous avait inquiétés pour la suite, on a déjà eu l’occasion de le dire, mais Bill Callahan avait déjà rectifié le tir sur son « Gold Record » il y a deux ans. Au personnage (trop) content de son sort de son précédent album, Bill Callahan s’était donné une nouvelle mission consistant à trouver de la grandeur partout, et surtout dans le banal, qui était selon lui devenu son quotidien.
Avec « YTILAER », l’Américain a une nouvelle ambition qui, mine de rien, le fait sacrément bouger et, par la même occasion, déjouer ce qu’on aurait pu attendre de lui. Bill Callahan est en effet devenu père de famille il y a déjà quelques années, et il en est sûrement le premier surpris. Et, non content de l’être une fois, le voici maintenant papa de deux enfants. Mais, dans une époque aussi troublée que la nôtre, où pas un jour ne passe sans qu’on nous annonce un futur catastrophe, un monde invivable pour les prochaines générations, être parent, aujourd’hui, ça signifie souvent être quelque peu tourmenté par ce qu’on va laisser à sa progéniture. Alors comment un mélancolique de la trempe de Bill Callahan allait-il pouvoir gérer cela ? Ce nouvel album en esquisse une réponse. Pour y parvenir, le songwriter souvent solitaire s’est ici entouré et ça s’entend. Matt Kinsey à la guitare, Jim White à la batterie, Sarah Ann Phillips au piano, Emmett Kelly à la basse. Ca vaut le coup de citer chaque musicien car cet album, c’est clairement celui de Bill Callahan en leader de groupe. Un groupe qui va lui permettre d’atteindre l’ambition qu’il s’est fixée, à savoir célébrer la beauté du monde, ou plutôt lancer une incantation à la réconciliation de l’homme avec la beauté de la nature, seul biais par lequel il est possible de voir un futur désirable. Et il est d’autant plus important pour Bill Callahan de s’y accrocher qu’à mesure que le temps passe, et peut-être plus encore depuis qu’il est papa, la conscience de sa mortalité s’accroit.
« YTILAER » contient ainsi son lot de beauté, sur le pur Lily, le très beau Naked Soul. Des chansons au beau relief offert tour à tour par la batterie ou le piano, toujours justes. Le fait que Bill Callahan soit accompagné sur cet album permet aussi à ses chansons de digresser, de partir loin, de s’affoler aussi parfois. Car la béatitude n’est pas pour lui, et ce qui donne encore plus de force aux morceaux de cet album, ce sont les dissonances, la sensation que tout peut basucler à tout moment pour finir par tendre vers une sorte d’élévation. Bowevil, Partition, Planets, autant de morceaux de bravoure bâtis sur l’instabilité pour finir dans l’apaisement. Le futur est incertain, mais Bill Callahan a fait sa part pour montrer le chemin à ses enfants, avec ou sans lui. Admirable.
- Publication 869 vues4 novembre 2022
- Tags Bill CallahanDrag City
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