Le retour du grand Bill, six ans après son dernier opus.
Six ans que l’ami Bill n’était pas venu nous caresser les oreilles de sa voix chaude et de ses mélodies célestes. C’est beaucoup, il n’a jamais laissé un tel hiatus entre deux albums depuis le début de sa carrière, mais dire qu’il nous a manqué ou qu’on s’est inquiétés de ne pas le revoir revenir serait exagéré. Attention, pas de méprise, pour nous, Bill Callahan fait partie des très grands et on est heureux de le retrouver mais, précisément, si on a su faire avec son absence, c’est parce que ses albums s’installent dans la durée et vivent avec nous au fil des années, quand bien même on ne les écoute pas tous les jours. En outre, Bill Callahan dégage une telle sagesse qu’on ne saurait exiger de lui une urgence, un devoir de « produire » à tout prix. Et, précisément, ces six années, il les a traversées comme tout un chacun, avec une banalité confondante : il s’est marié, il a eu un enfant, il a perdu sa mère… Et, comme l’envie d’écriture est revenue, il l’a accueillie avec bienveillance et a écrit « Shepherd In A Sheepskin Vest », qui nous occupe aujourd’hui. Et, comme c’est quelqu’un de bien élevé, ses premiers mots sur Shepherd’s Welcome sont pour relever que ça fait un bail qu’on ne s’était pas vus et nous inviter à entrer.
Alors, après six ans, quel état d’esprit pour Bill Callahan, quelle couleur pour ce nouvel album ? Le titre, jolie image programmatique, annonce un album pastoral, ce que confirme les premiers morceaux. Le son est direct, la production minimale, tout comme l’instrumentation, ce qui n’a pas toujours été le cas pour lui, notamment sur « Dream River », album à l’opulence discrète. Ici, ce sont la guitare, une caisse claire et deux trois petites choses autour, assez rustiques, qui forment l’écrin. Mais, ce qui frappe à mesure que les chansons s’enchaînent, c’est la dimension quasiment contemplative de l’album. Car, si chez Bill Callahan, les émotions et les états d’âme ne se sont jamais exprimés à travers un prisme spécifiquement violent, ses albums ont été tour à tour amers, tourmentés, plus sereins, et parsemés de mots aux constats souvent magnifiques dans leur dimension laconique. Là, on sent presque poindre une forme de résignation sereine quand sur Writing il exprime le plaisir qu’il éprouve à retrouver l’envie d’écriture tout en se demandant où sont passées les bonnes chansons… C’est d’autant plus dérangeant que, sur les premières écoutes, s’il n’y a pas de déplaisir à l’écoute de l’album, il n’y a pas de titres qui se dégagent et nous font frissonner, alors que Bill Callahan était passé maître en ce domaine. Alors quoi, « Shepherd In A Sheepskin Vest » serait l’album d’un songwriter au bout de la route qui se remet à écrire parce qu’il ne sait rien faire d’autre ? Dur à avaler, encore plus dur de se résigner à ce constat.
Comme l’album contient vingt titres, ça laisse le temps de fouiller ses recoins et on ne peut pas en faire le tour trop rapidement, donc on ne s’affole pas. Et, de grands moments, il y en a sur « Shepherd In A Sheepskin Vest », à commencer par le magnifique Morning Is My Godmother avec sa mélodie intense, ses tous petits susurrements féminins en fond, ses accords bouleversants. Plus loin, c’est Released et sa structure en montagnes russes avec ses percussions tumultueuses qui envoûtent. On peut également citer la belle reprise de The Lonesome Valley, vieux standard du folk américain qui trouve naturellement sa place dans l’ensemble. Un ensemble dans lequel il faut se laisser prendre et se laisser porter par les réflexions et les interrogations de Bill Callahan, qui exprime à coeur ouvert ses contradictions, ses doutes. Néanmoins plane en fond ce sentiment de résignation sereine dont on parlait auparavant et avec lequel on a du mal à faire ami ami. Car si l’album n’a rien de morbide, on sent néanmoins son auteur habité par l’inéluctabilité de son destin, d’où The Beast, incarnation de la mort qui referme le disque. Alors peut-être est-ce une étape nécessaire pour Bill Callahan d’accepter sa propre mortalité pour mieux profiter du temps présent, mais le résultat, c’est que sa création suinte un peu trop une indolence qui fait basculer ses morceaux vers une trop grande neutralité formelle. On s’accroche toutefois à la fêlure qui n’est pas loin de tout emporter dans le sobre et émouvant When We Let Go, qui nous fait espérer que des émotions plus à vif ne tarderont pas à s’emparer de nouveau de Bill Callahan.
- Publication 980 vues14 juin 2019
- Tags Bill CallahanDrag City
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