Low s'adonne à l'inconnu et prend tout le monde à contre-pied...
De l’audace. Voici en substance la vertu dont doit disposer le rédacteur musical pour évoquer un grand album. Il n’est même exclu que, parfois, l’irrépressible précipitation de celui-ci face à la découverte d’un stupéfiant objet sonore provoque une inspiration inouïe, truffée d’un milliard d’adjectifs et de louanges en pagaille, d’aucuns diraient prématurés ou déraisonnés puisqu’il se doit de rester objectif. La « prise de recul » prend alors tout son sens, inhibant l’euphorie des premiers ressentis, qu’ils soient violents ou apaisants, pénibles ou délicieux, et s’avère primordiale lorsque le contenu de l’objet manque de docilité. C’est exactement la situation dans laquelle le douzième album de Low nous plonge, que l’on soit chroniqueur, fanatique ou amateur de l’art musical, aussi ébouriffant ou dénué d’intérêt que puisse proposer un tel spectacle.
Il faut alors s’en remettre au contexte, regarder dans le rétroviseur d’un groupe qui a gagné ses galons avec un style assumé depuis vingt-cinq ans et qui, entre la pugnacité et la grandeur de son slowcore, a ponctuellement dévié la tangente comme sur « The Great Destoyer » et ses virades rock ou sur l’éclectique et machinique « Drums & Guns ». Ici, un peu à la surprise générale, Low vient brouiller les pistes autant que les mélodies, déstructurant et triturant ces dernières comme jamais il n’eut jugé utile de l’entreprendre. Sans préliminaires, l’ouverture Quorum vient planter l’étrangeté de sa structure de manière déconcertante, un ovni auditif où la distorsion et les effets de balancements interpellent avant même de prendre connaissance du reste. On se doute déjà que cet album, aux contrastes prenant source dans son énigmatique visuel, ne ressemblera à aucun autre et laissera du monde sur le carreau.
Avec sa torpeur en filigrane, Dancing & Blood n’atténuera guère ce sentiment de malaise régnant. Pour autant, il faut pouvoir y déceler sa beauté machiavélique, froide mais limpide, avant que celle-ci se noie dans un bourdon vocal sans fin. Abyssal serait même le terme idoine pour définir nombre de ces pièces, tant la plongée vers le néant se veut profonde et agonisante, comme sur Tempest ou le mélodique Always Trying To Work It Out, autels d’une saturation outrancière engluée entre vocodeurs et timbres cristallins. Même au détour d’un intervalle instrumental (The Son, The Sun), l’atmosphère y est lugubre mais fascine clairement l’esprit, fusionnant en une unique dimension le religieux et la fantasmagorie.
Au coeur de l’épreuve, Low conserve un espace restreint a son authenticité primale, une réminiscence slowcore qui, ici plus encore que sur ses précédentes productions, tente d’estomper tant bien que mal les affres ambiantes (Fly, Always Up, Dancing & Fire). Alors que l’on imagine une forme de sérénité se dégager progressivement, la tension reste inexorablement manifeste, telle un frisson infini acculant la chair, immuable et d’autant plus irréversible qu’il persiste sans coup férir sur Poor Sucker et Rome, à eux deux matérialisant ce que Low a souhaité imprimer en toile de fond : la démonstration d’une légèreté voulue pesante, presque incommodante, épique et cabossée de toutes parts, comme peut l’être parfois l’existence, tiraillée entre la quiétude du rose et les turpitudes du noir.
Là où le leurre est criant d’un côté, le coup semble parfait de l’autre. Parvenir à désarçonner aussi subtilement, à provoquer une incompréhension aussi brutale que fracassante, à faire voler en éclats la teneur de ses principes tout en maintenant une qualité de production identique à l’accoutumée, Low fait de « Double Negative » un album n’incarnant aucune idée de rupture mais plutôt le symbole de ses expérimentations ponctuelles, sans jamais faire transparaître un quelconque sentiment de mise en danger au regard de son statut. Rien que pour l’initiative, ce virage que jamais personne n’aurait imaginé, Low est immense, et son présent récital l’est tout autant…
Tracklist
- Quorum
- Dancing and Blood
- Fly
- Tempest
- Always Up
- Always Trying to Work It Out
- The Son, The Sun
- Dancing and Fire
- Poor Sucker
- Rome (Always in the Dark)
- Disarray