Arab Strap

Le nouvel album d'Arab Strap, retour à un certain classicisme.

Le duo formé par Malcolm Middleton et Aidan Moffat n’a jamais été très rieur et s’est plutôt échiné à décrire avec plus qu’un brin de dépit les affres d’un quotidien morne et quelque peu misérable. Et ce que ce soit avant ou après leur reformation il y a quelques années et couronnée d’un nouvel album en 2021 unanimement salué. Et pour cause, autant les reformations sur scène pour aller râcler quelques bénéfices d’un passé glorieux sont légion, autant il est rare qu’elles finissent par déboucher sur un retour en studio et la sortie d’un album qui, non seulement démontre que ses auteurs ont toujours du talent et de l’envie pour produire de nouveaux morceaux, mais réussissent peut-être même à être encore meilleurs. C’est le tour de force qu’a réussi Arab Strap avec « As Days Get Dark ». Alors, après cela, comment faut-il prendre le titre de ce nouvel album ? Comme un continuum de l’esprit désabusé du duo, hypothèse tout à fait plausible, ou bien comme l’expression qu’après être parvenus à se retrouver et à se surpasser, les deux compères se moquent bien de ce qu’on peut désormais penser de leurs nouvelles productions ? A vrai dire, à l’écoute d »Im Totally FIne With It… », les deux interprétations fonctionnent. Et on peut aussi y ajouter une troisième interprétation, la fausse piste qui est à prendre à rebours.

Pour alimenter la première interprétation, disons que, sans surprise, Arab Strap, via l’écriture d’Aidan Moffat, continue de dépeindre les travers de notre époque et ses conséquences. En se focalisant notamment sur la nocivité de l’omniprésence des réseaux sociaux et d’internet dans notre quotidien. Et, bien sûr, cela se fait avec un sens du fatalisme qui est devenu une sorte de marque de fabrique d’Arab Strap. Le chant d’Aidan Moffat est toujours aussi emphatique, véhicule un sentiment d’exaspération et de fatigue qui, en gros, semble dire : « voilà, je pose tout sur la table, débrouillez-vous avec ça, j’ai pas la solution à mes états d’âme ». Pour apporter de l’eau au moulin de la seconde interprétation, on pointera que, contrairement à « As Days Gat Dark » qui, sans être un changement de cap pour Arab Strap, avait marqué une volonté peut-être plus prégnante de soigner les arrangements et les mélodies, « I’m Totally Fine With It… » marque un retour à ce que le duo a toujours proposé, à savoir une musique au côté bancal assumé, sorte de lo-fi décalée, ici faite d’un écrin principalement electro vintage sur lequel Aidan Moffat vient poser ses mots souvent nombreux avec une morgue qui peut virer à la monotonie. C’est évidemment la principale limite de l’album qui, par moments, sur des titres comme Sociometer Blues ou Summer Season réinstalle un clivage entre les fans de la première heure du duo qui y trouveront leur compte et les autres qui risquent d’être rapidement lassés par l’emphase et la pesanteur qui s’en dégage. Il faut néanmoins reconnaître que « I’m Totally Fine With It… » fait partie de ces disques dont on ne fait pas le tour en une écoute et qui se révèlent petit à petit. C’est la répétition des écoutes qui laisse entrevoir le côté plus « varié » de celles-ci. Derrière l’élocution d’Aidan Moffat, qui prend beaucoup de place, parfois un peu trop tout en étant un marqueur, on découvre des mélodies pop ciselées (Hide Your Fires, Strawberry Moon),

Mais c’est bien la troisième interprétation, celle du propos à prendre à rebours qui finit par réellement donner de l’épaisseur à l’album. Car derrière le fatalisme de façade d’Arab Strap, il faut déceler que, s’ils avaient cédé au découragement, ils auraient tout bonnement renoncé à faire de la musique, ou du moins de nouveaux morceaux. Le côté brut et débraillé de Allatonceness, qui ouvre l’album, laisse sortir une vraie colère plutot saine, la fibre acoustique et ténue de Safe & Well, à l’inverse, cherche à convoquer la beauté dans un monde sombre et chaotique. « I’m Totally Fine With It… Don’t Give A fuck Anymore », est l’album d’un duo qui a ses limites et ses défauts, ses talents indéniables, et qui croit encore au pouvoir de la musique pour transcender tout ce qui pèse à l’intérieur. A prendre ou à laisser, mais certainement pas à dédaigner.