Rétrospectivement, Black Francis aurait pu invoquer l’esprit de feu Claude François et baptiser son « Trompe Le Monde » en « Le Mal Aimé ». Sans aller jusqu’à écrire que cet album recueillit de mauvaises critiques, il est évident que les louanges furent dispersées avec bien plus de parcimonie qu’à l’accoutumée autour du berceau de ce nouveau-né, qui allait […]
Rétrospectivement, Black Francis aurait pu invoquer l’esprit de feu Claude François et baptiser son « Trompe Le Monde » en « Le Mal Aimé ». Sans aller jusqu’à écrire que cet album recueillit de mauvaises critiques, il est évident que les louanges furent dispersées avec bien plus de parcimonie qu’à l’accoutumée autour du berceau de ce nouveau-né, qui allait s’avérer, à peine quelques mois plus tard, l’œuvre testamentaire des Pixies. Après la limpidité de « Bossanova » et son dosage surnaturel de pop et de punk, c’est peut-être le choix de se frotter de nouveau à des atmosphères plus sombres et agressives qui a dérouté les gourous de l’époque ?
Encore maintenant, « Trompe Le Monde » dispose d’une côte d’amour bien en-deçà du reste de la discographie des Pixies, un destin comparable à celui de « Dirty » ou « Goo » de Sonic Youth, par exemple. Un statut à part que l’on peine à s’expliquer : comme sur tous les autres opus Pixiesiens, on trouve ici très peu de minutes ou même de secondes dispensables (peut-être la reprise du Head On de Jesus And Mary Chain?), et une quantité inversement proportionnelle de classiques. Il faut évidemment mentionner dans cette catégorie le contemplatif Motorway To Roswell, qui tirerait des larmes au Cancer Man des X-Files, le stimulant U-Mass (le Should I Stay or Should I Go de Black Francis), le séminal Subbacultcha…
Quelques moments apportent encore un surcroît de séduction torve à un ensemble déjà diablement enthousiasmant : les premières secondes de l’album, et cette introduction de guitares incandescentes, représentent l’une des meilleures entrées en matières jamais concoctées par le groupe. Le final ravageur (et ravagé) de The Sad Punk prouve également que s’ils ont poussé les potards dans le rouge, les Pixies savent encore trousser comme personne leur fameuse « spéciale » (trois chansons pour le prix d’une et en trois minutes chrono). Enfin si l’on ne devait retenir qu’un seul titre de cette ultime révérence, ce serait probablement Alec Eiffel, que l’on s’autorise à considérer comme l’un des sommets indépassables de l’œuvre des Pixies, et l’une des démonstrations les plus éclatantes de leur génie atypique. Après une première partie parfaitement équilibrée entre énergie et mélodie, structurée autour d’un duo de guitares aussi simple que merveilleux, un ultime refrain, repris ad lib au cours d’un final qui pourrait durer sept heures sans qu’on s’en lasse, propose une suite d’accords déstabilisante de prime abord, et rapidement enchanteresse.
« Trompe Le Monde » tient parfaitement sa place dans la discographie brève et définitive de ses auteurs. C’est un quatrième classique à porter à l’actif de lutins décidément géniaux. La suite serait plus déroutante : une séparation quasi-unilatérale prononcée par un Black Francis prêt à un radical changement de pseudonyme, et pour Kim Deal un retour aux affaires au sein d’un groupe qu’elle avait déjà inauguré en compagnie de Tanya Donelly. Un hobby appelé The Breeders…
Pixies sur la route
Tracklist
- Trompe le Monde
- Planet of Sound
- Alec Eiffel
- The Sad Punk
- Head On
- U-Mass
- Palace of the Brine
- Letter to Memphis
- Bird Dream of the Olympus Mons
- Space (I Believe In)
- Subbacultcha
- Distance Equals Rate Times Time
- Lovely Day
- Motorway to Roswell
- The Navajo Know