"> Chelsea Wolfe - Hiss Spun - Indiepoprock

Hiss Spun


Un album de sorti en chez .

8

Insatiable et en pleine sève créatrice, Chelsea Wolfe revient en mode implacable.

Après « Pain Is Beauty » en 2013 et « Abyss » en 2015, deux albums magnifiques sur lesquels Chelsea Wolfe avait fait évoluer son penchant pour le gothique et les ambiances emphatiques et prenantes avec une maestria sans pareille, on aurait parfaitement admis qu’elle prenne du recul avant de penser la suite. Mais il faut croire qu’on prend la Californienne pour plus cérébrale ou plus torturée qu’elle ne l’est, en dépit des angoisses qui hantent ses disques, ou alors qu’elle est justement beaucoup trop angoissée pour se passer de jouer et composer de la musique, seul remède digne de ce nom à ses tourments. On ne fait là que lancer conjectures et fantasmes pour tisser la légende de Chelsea Wolfe mais, ce qui est certain, c’est qu’elle est bel et bien dans une dynamique créatrice intense et qu’on était vraiment impatients de savoir si, après avoir enchaîné deux albums de très très haut niveau, elle réussirait la passe de trois sans faiblir.

La première vertu de Chelsea Wolfe est à la fois la fidélité et le renouvellement. Car, à chaque album, elle s’entoure de musiciens qu’elle connait souvent depuis longtemps et qui, par conséquent, sont aptes à comprendre ce qu’elle attend d’eux et à donner leur meilleur, mais à chaque fois la colonne vertébrale du groupe à l’ouvrage sur chaque disque est différente. Sur « Hiss Spun », l’élément le plus important est certainement Jess Gowrie, qui officie à la batterie. Tout le long de l’album, c’est en effet lui qui assène le tempo lourd et implacable qui porte chaque morceau, avec un mélange de force et de subtilité qui vous plaque à votre siège. Car, c’est un fait, elle ne s’en est jamais cachée et ce n’est pas avec ce disque que ça va changer, bien au contraire, Chelsea Wolfe a toujours flirté avec le metal, dans sa version la moins « grasse » et la plus lourde, le doom. Cette influence était déjà au centre d' »Abyss », à la différence près que, sur ce dernier, c’était un élément constitutif qui s’imbriquait avec des textures électroniques complexes. Cette fois, c’est clairement la base. Sur le début d’album, ce choix peut s’avérer déceptif. Car, si l’ambiance grave et irrespirable enferme immédiatement l’auditeur dans une gangue dont il ne sortira à coup sûr pas, les incantations de Chelsea Wolfe sur Spun, 16 Psyche et Vex pourront néanmoins sembler manquer de relief en comparaison avec les structures invraisemblables et toujours changeantes qu’elle avait su créer sur ses derniers albums.

Mais, et c’est là sa seconde vertu, Chelsea Wolfe n’est pas du genre à étaler ce qui pourrait finir par ressembler à de la morosité sur un album entier. Même si l’ambiance est rarement (pour ne pas dire jamais), à la fête, il y a chez elle trop de sensibilité, trop d’aspiration à la beauté, même tragique, pour qu’elle s’enferme dans un tempo, une dynamique, aussi imposante soit-elle sur la forme. Dès The Culling, l’album bascule vers des constructions plus complexes, Chelsea Wolfe joue de sa voix pour habiter des morceaux à la dramaturgie étudiée. Sur Particle Flux, un rythme électronique obsédant comme un métronome vient soutenir sa voix à la fois touchante et grave. Sur Twin Fawn, la batterie s’efface complètement sur les couplets dépouillés à souhait avant de revenir appuyer les scories de guitare qui éclatent sur le refrain, puis le morceau bifurque complètement pour se terminer sur un final cataclysmique. Sur Offering, elle offre, c’est le cas de le dire, ce qui se rapproche le plus d’une respiration avec un titre court, instinctif, avec des arrangements plus légers.

Le final de l’album la voit osciller entre tension brute sur Static Hum, incantation en forme d’oraison funèbre avec piano sur le bref Welt, ballade acoustique cristalline mais à la violence qui rôde sur Two Spirit et une dernière saillie inquiétante et grondante avec Scrape, sur lequel elle adopte un chant affolé, tour à tour intimidant et bouleversant. Alors bien sûr, « Hiss Spun » n’atteint pas les sommets de virtuosité d »Abyss », mais reste un album fondamental dans la mesure où il peut s’appréhender comme l’aboutissement nécessaire d’une démarche qui, depuis ses débuts, a vu Chelsea Wolfe explorer les tréfonds de son âme avec une palette allant du dépouillement acoustique au goth-metal le plus emphatique. Et, quand on prend du recul et le temps d’observer la trajectoire des artistes qui ont su durer dans le temps sans s’égarer, le point commun est toujours la capacité à laisser sortir les choses en temps et en heure sans calculs excessifs plutôt que chercher à tout maîtriser, tout réévaluer en permanence, au risque de tuer toute spontanéité, toute authenticité. « Hiss Spun » est ainsi le gage que Chelsea Wolfe nous accompagnera encore un sacré bout de temps.

Rédacteur en chef

Tracklist

  1. Spun
  2. 16 Psyche
  3. Vex
  4. Strain
  5. The Culling
  6. Particle Flux
  7. Twin Fawn
  8. Offering
  9. Static Hum
  10. Welt
  11. Two Spirit
  12. Scrape