"> Nick Cave and The Bad Seeds - Murder ballads - Indiepoprock

Murder ballads


Un album de sorti en chez .

La précipitation de la vie dans le périmètre d’une mort violente a toujours été un thème cher à Nick Cave, dérivé de son penchant pour l’auto-destruction. Et sans doute aussi car le punk-blues des Bad Seeds – qui atteint ici une perfection, une endurance et une subtilité ultimes – se prête si bien aux destins […]

La précipitation de la vie dans le périmètre d’une mort violente a toujours été un thème cher à Nick Cave, dérivé de son penchant pour l’auto-destruction. Et sans doute aussi car le punk-blues des Bad Seeds – qui atteint ici une perfection, une endurance et une subtilité ultimes – se prête si bien aux destins amphétaminés. Cependant jamais Cave ne s’est acharné aussi systématiquement sur la mort qu’avec Murder Ballads. 1 à 25 morts par chanson.

« C’est en quelque sorte mon ennui face au sujet du meurtre qui a suscité ces chansons, raconte t-il dans Mojo Magazine en 1997. Elles évoquent en réalité bien autre chose – l’utilisation d’un certain langage, l’utilisation de rimes. Le propos c’est aussi l’humour et le fait de raconter une histoire. Le point de vue du meurtre est une façon efficace de faire surgir un effet dramatique à l’échelle d’une chanson. Ce que j’aime, à propos de ces chansons, c’est qu’il n’y a jamais aucun motif pour les personnages à accomplir un meurtre. » Cave est désinhibé et destructeur, mais aussi tellement à l’aise qu’on le voit reprendre à son compte le fantasme du performer alcoolique irlandais aux motivations opaques, et il parachève une accolade aux Pogues en invitant leur chanteur Shane Mc Gowan sur la dernière chanson, une reprise superflue de Bob Dylan, Death is Not The End. Si l’album s’était terminé avec O’Malley’s Bar, c’aurait été différent. « And he looked at me as though I was crazy » y exulte un pervers assassin. O’Malley’s Bar porte à son apogée l’atmosphère onirique et terrifiante de l’album, troublée régulièrement, comme ici, par l’apparition in extremis de la police.

Hormis son titre, Song For Joy – écrite au moment de « Let Love In » et appelée alors Red Right Hand II –  est dépourvue du second degré qui apparaît presque partout ailleurs dans l’album, et en devient déstabilisante. Un homme dont la femme et les trois enfants se font assassiner se met à errer sans but dans l’existence. Musicalement, la grandiloquence dramatique de l’album est consommée, un terreau dans lequel viendront croître le délire aussi bien que la langueur et l’affection pour ses personnages, au cours de quelques moments plus empathiques comme la touchante The Kindness of Strangers. Le piano sera redoutablement bien utilisé tout au long de l’album, et jamais mieux que sur Stagger Lee – qui est une réinvention totale d’un vieux R&B américain.

Sans doute faut t-il se saisir de « Murder Ballads » par les histoires qu’il contient pour comprendre toute la substance des chansons et des hommes dépravés qui en sont les pantins. Comme le dit Nick Cave, « la substance divine n’a rien de commun avec celle des hommes. » Henry Lee raconte l’histoire d’une femme qui tue un homme parce qu’il refuse de l’aimer. Nick Cave et PJ Harvey, qui chante en duo avec lui, vivront une histoire sentimentale pendant l’année 1995. Where the Wild Roses Grow raconte l’histoire d’un homme qui fait la cour à une femme, puis qui la tue alors qu’ils sortent ensemble. The Curse of Millhaven est la pièce centrale de l’album. Loretta est une fille déséquilibrée qui prend plaisir à décrire les morts sadiques des gens de son entourage, persuadée que c’est la volonté de Dieu qui les assassine. Mais la vérité est aussi prévisible que détestable. Le refrain insistant, qui se greffe sur une version pervertie de la mélodie de Henry Lee, résume bien l’album : « All God’s creatures, they’ve all got to die ».

Chaque nouvelle histoire assoit l’intensité de la précédente, avec un soin particulier porté aux atmosphères, millimétrées et sanguinaires, mais aussi triviales et, dans l’excellente interaction entre claviers, rythmiques et guitares, porteuses d’une forme d’extase. Quant au duo avec Killie Minogue, Where The Wild Roses Grow, il ne semble même pas dépareiller dans cet album, dont la variété est un autre point fort. « Je l‘ai vue à la télévision, et je me suis dit, merde : j’aimerais tellement la voir chanter un truc lent et triste », parodie Cave.

Si le plus tardif The Boatman’s Call a été désigné comme l’album de rupture de Nick Cave, sa première réaction après son divorce est d’enregistrer « Murder Ballads ». « C’est ce que je trouve de plus facile : m’assoir à mon bureau et écrire des histoires sous formes de vers. Elles n’ont aucun rapport avec mon expérience. » Ecrire ces contes sordides permettait à Nick Cave de faire une trêve sur son tumulte intérieur, de cesser de façon radicale de parler de lui pour s’atteler à corps perdu et avec tout le dégout nécessaire aux travers de son écriture. « C’est ce qu’il y a de mauvais avec ma façon d’écrire, se saisir d’une idée et la pousser bien au-delà de ce qui est rationnel, bien trop loin. »

L’une de ces idées poussées dans leurs retranchements : la démission de Dieu dans les affaires humaines, et par conséquent chacun réduit à agir dans le plus grand dénuement affectif et chacun l’auteur d’un dialogue intérieur qui le met face à ses propres failles, et sur « Murder Ballads » en particulier face à sa propre violence. « Le meurtrier est aussi tragique que le sont les victimes », commente t-il, endossant un point de vue répandu parmi ceux qui réfléchissent à la nature humaine. Etudier la culpabilité et la folie, même avec cette euphorie qui se dégage souvent de l‘album, reste peut-être le meilleur moyen de sonder l’âme humaine.

Chroniqueur

Tracklist

  1. Song of Joy
  2. Stagger Lee
  3. Henry Lee (feat. PJ Harvey)
  4. Lovely Creature
  5. Where the Wild Roses Grow
  6. The Curse of Millhaven
  7. The Kindness of Strangers
  8. Crow Jane
  9. O'Malley's Bar
  10. Death Is Not the End

La disco de Nick Cave and The Bad Seeds