Un remède possible au bouillonnement actuel.
Cet album n’est pas que conceptuel (cela ne veut pas dire grand-chose la plupart du temps) mais simplement le recueil des échanges expérimentaux entre Lowell Brams et Sufjan Stevens depuis quelques années.
Sufjan Stevens est un touche-à-tout depuis maintenant 20 ans, maîtrisant parfaitement la folk et l’indie-rock, ses albums sont souvent classés dans l’expérimental voire la world, car on ne sait plus comment indiquer le matériau qu’il traite. Ici l’expérience est à 100 % électronique, très maîtrisée même si le tout est un peu trop doux à notre goût (préférant les essais réussis dans « Age Of Adz », très proches d’Animal Collective par certains côtés). Autant « All Delighted People EP » n’était pas un EP mais une œuvre gigantesque, autant « Aporia » n’est pas vraiment un LP mais plutôt l’épilogue de la collaboration entre Sufjan Stevens et Lowell Brams.
Présentation de l’album sur Asthmatic Kitty Records le 23 mars 2020 :
« (…) Qu’est-ce qui se passe ? Que se passe-t-il ensuite ? Que pouvons-nous faire ? Et maintenant ?
Nous ne nourrissons aucune illusion de grandeur – ce disque n’est guère la chose la plus importante dans votre monde en ce moment – mais nous croyons également que la musique est sacrée et a la capacité d’apporter de la beauté, de la sagesse, de la vérité et de la lumière à nos vies dans les moments difficiles. Nous espérons que cette musique peut vous apporter du sens, de l’espoir et des encouragements aujourd’hui (…)»
Il est donc impossible d’écarter la sortie de cet album du contexte de nos vies actuelles. Sufjan Stevens et Lowell Brams n’étaient pas plongés dans la crise quand ces titres ont été créés, sélectionnés et mixés, mais cette expérience musicale sonne particulièrement fort en ces temps de confinement. La recherche d’un nouveau monde après la déception d’un ancien n’est pas nouvelle dans la musique, notre boit-sans-soif de consommation à tout prix nous laisse une langue pâteuse, nous le savons tous, et la dissolution de chaque religion et idéologie, l’une après l’autre, est inexorable : nous nous en vantons désormais sur tous les réseaux sociaux sans trouver de solution qui ne dépasse les 48 heures. Et c’est bien une invitation à autre chose que proposait le mouvement new age à ses origines, cet album a été présenté sous ce thème par leurs créateurs. « Aporia » signifie en grec ancien l’impasse, la contradiction qui plonge l’auditeur dans le doute.
Reste de cet herbier médicinal de très bons morceaux parmi les 21 titres : comme déjà ressenti lors de la sortie du clip de The Runaround (meilleur titre de l’album), l’ombre de Boards Of Canada est également présente au début d’Agathon, nous trouvons un air plus acide et percutant dans Afterworld Alliance puis on se laisse facilement emporter avec Captain Praxis, mais au final l’album se digère peut-être trop facilement, habitués que nous sommes à la densité des œuvres de Sufjan Stevens. Les fans de cet artiste sont des millions depuis « Carrie and Lowel » (2015) qui, avec « All Delighted People EP » (2010), resteront parmi les plus grands albums des années 2010, il ne faut pas l’oublier. Même si nous sommes devant un petit album, en tout cas pas aussi élevés que les précédents (ce qui est difficile), il ne serait pas sérieux de le laisser dans l’ombre trop rapidement. Ces 21 titres arrivent à reposer nos oreilles actuellement saturées d’informations sans intérêt, sans tentative d’apaisement : seul remède possible au bouillonnement des gens.
- Publication 1 137 vues26 mars 2020
- Tags Sufjan StevensAsthmatic Kitty
- Titres recommandés Agathon Afterworld Alliance The Runaround Captain Praxis
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Tracklist
- Ousia
- What It Takes
- Disinheritance
- Agathon
- Determined Outcome
- Misology
- Afterworld Alliance
- Palinodes
- Backhanded Cloud
- Glorious You
- For Raymond Scott
- Matronymic
- The Red Desert
- Conciliation
- Ataraxia
- The Unlimited
- The Runaround
- Climb That Mountain
- Captain Praxis
- Eudaimonia