"> Sufjan Stevens - Javelin - Indiepoprock

Javelin


Un album de sorti en chez .

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Une nouvelle oeuve bouleversante signée du magicien de Detroit.

Lorsque, il y a quelques mois, l’annonce de la sortie de ce nouvel album a été faite et qu’un premier morceau a été divulgué, les fans, et les suiveurs qui avaient eu la chance d’écouter en avant-première ne serait-ce qu’une partie des morceaux présents sur « Javelin » disaient qu’on avait affaire à du Sufjan Stevens « classique ». Terme qui, soulignons-le, prenait ici un sens laudatif et soulignait que le musicien de Detroit y proposait ce qui constitue le coeur de son art. Il faut toutefois mesurer ce que ce terme peut aussi avoir de quelque peu perturbant pour ceux qui ne seraient pas au fait de la carrière de Sufjan Stevens et chercheraient à se faire une idée sur lui en allant picorer à droite et à gauche. Car, de la folk délicate de « Seven Swans » à la pop baroque de « Illinois » en passant par les montagnes russes electro-pop de « The Age Of Adz », sans parler des disques de musique new-age développés quelque peu en parallèle de son oeuvre officielle, le novice serait en droit de se demander ce qu’est réellement le Sufjan Stevens classique.

Il faut alors développer et expliquer que, pour comprendre et apprécier Sufjan Stevens, il faut prendre la mesure de sa personnalité complexe et tourmentée qui l’ont toujours poussé à craindre comme une guigne un succès de masse trop important, à toujours revendiquer une liberté musicale totale, et à se réfugier ponctuellement derrière des projets trop tortueux, ou trop outranciers pour obtenir une large adhésion. Mais les vrais fans de Sufjan Stevens ont depuis longtemps compris comment fonctionnait notre homme et savent que ces passages par ces phases finissent toujours par le ramener à ce qu’il fait de mieux, ce fameux Sufjan Stevens classique, maître en mélodies délicates et célestes, portées par une base acoustique, un chant caressant à la limite du murmure, des choeurs et de petits éléments virevoltants.

Dit comme cela, on pourrait croire qu’on attend de Sufjan Stevens qu’il revienne à un pré-carré, bien balisé et, quelque part, confortable. Mais, là encore, les choses ne sont pas si simples. Si, quand on entre dans « Javelin », on reconnaît immédiatement cette touche inimitable, ça ne signifie pas pour autant qu’on succombe à la première seconde. Au contraire, retrouver la substantifique moëlle de Sufjan Stevens, c’est mettre les exigences très haut. Et pour qu’on succombe réellement à un album de sufjan Stevens, il faut attendre le point de bascule, le moment où l’alchimie se met en place, où plus rien ne peut faire obstacle à ce qu’on éprouve. Sur « Javelin », le premier véritable jalon est Will Anybody Ever Love Me. Sa structure toute simple, son refrain repris en choeur rendent vite le morceau attachant. Et puis, plus loin, il y a My Red Little Fox. Un morceau tout en retenue, avec de petites sonorités intriguantes, des choeurs toujours aussi justes, un chant qui n’est jamais très loin d’évoquer une prière, une mélodie ténue, retenue, mais d’une beauté incandescente. Toutes les résistances tombent et on peut alors se délecter de Shit Talk, la grande pièce de l’album, qui s’étire sur plus de huit minutes, en montagnes émotionnelles, en moments qui alternent entre couplets intimistes et explosions célestes sur refrain et ponts successifs.

On peut alors revenir sereinement sur l’album dans son ensemble et apprécier tout ce qui fait sa réussite globale et sa singularité. Car si « Javelin » a tout de l’album d’un artiste qui cultive son art, le cantonner à une redondance serait une erreur. Il faut d’abord noter qu’aucun concept ou trame globale ne sous-tend l’album. Pas d’exploration sociologique ou historique des Etats-Unis, pas d’évocation d’un passé à recomposer. Ce qui ne signifie pas que « Javelin » est un album léger et inconséquent. Récemment, Sufjan Stevens a révélé suivre un traitement pour soigner un syndrome de Guillain-Barré, cette maladie rare qui provoque une paralysie partielle ou même totale du corps. Une expérience évidemment perturbante qui, chez Sufjan Stevens, a provoqué des sentiments ambivalents. Ainsi, au fait de pouvoir, petit à petit, recouvrer ses capacités physiques s’est mêlé celui d’éprouver celui de ses limites physiques et de considérer sa fin. « Javelin » est ainsi tout entier porté par l’interrogation de ce qui restera, ou de ce qui reste quand une personne n’est plus là. Une question qui donne sa substance presque mystique à des morceaux comme Goodbye Evergreen ou Everything That Rises. Des morceaux porteurs à la fois de la fibre la plus fragile de la musique de Sufjan Stevens mais aussi de la plus puissante quand les mélodies bifurquent pour partir dans des constructions dont lui seul est capable. Loin d’être une redite, « Javelin » sonne alors comme l’oeuvre d’un artiste qui se rapproche de sa quête ultime.

Rédacteur en chef

Tracklist

  1. Goodbye Evergreen
  2. A Running Start
  3. Will Anybody Ever Love Me?
  4. Everything That Rises
  5. Genuflecting Ghost
  6. My Red Little Fox
  7. So You Are Tired
  8. Javelin (To Have And To Hold)
  9. Shit Talk
  10. There's A World