Nouvel album de Sufjan Stevens, toujours un évènement rare.
Certes, Sufjan Stevens a déjà donné de ses nouvelles en début d’année avec la publication d’un album instrumental new age partagé avec son beau-père. Mais, si c’est un auteur prolifique, rien dans sa production ne remplace la rareté des albums dans lesquels il est seul aux manettes et creuse le sillon de son songwriting à nul autre pareil. Ce sont également dans ces albums qu’il nous livre sa vision du monde, son état intérieur, ce qui peut donner naissance à des disques tour à tour foisonnants ou à l’intimisme bouleversant. « Carrie & Lowell », paru en 2015, faisait partie de la seconde catégorie, suite au décès de sa mère. Assez naturellement, « The Ascension » renoue avec la première. Autant dire que, dans une période aussi tourmentée que celle que nous vivons, on pouvait attendre à peu près tout. 15 titres, 1h20 de musique, le décor est en tout cas planté, et l’était déjà avec America, long titre de 12 minutes envoyé en éclaireur. Un titre qui referme l’album, quand la norme est d’habitude plutôt de proposer en premier single un titre qui l’ouvre ou du moins situé en son coeur, mais on connaît suffisamment les turpitudes de Sufjan Stevens pour ne pas s’étonner outre mesure. America nous avait au moins fait comprendre que le songwriter de Detroit, après le retour à des ambiances acoustiques et boisées sur son précédent album, renouait cette fois-ci avec un canevas sonore électronique et sophistiqué, développé en 2010 sur « The Age Of Adz ».
Comme Sufjan Stevens ne fait rien comme tout le monde, non seulement il place un single en conclusion, mais il trouve le moyen, avec l’inaugural Make me An Offer I Cannot Refuse, de démarrer « The Ascension » avec un titre qu’on a le sentiment de prendre en marche. A peine les premiers gimmicks passés, on est en effet cueillis par une voix solennelle et, quelques phrases plus loin, c’est une explosion de gerbes sonores et de choeurs. Un démarrage, plus que désarçonnant, surtout ébouriffant et qui a pour vertu de nous plonger d’emblée dans l’univers du disque, d’autant plus que le côté céleste de la mélodie est extrêmement accueillant. Et quand, avec Run Away With Me, Sufjan Stevens enchaîne avec ce qui est dès la première écoute un morceau qu’on classe parmi les plus belles mélodies de son répertoire, ce qui n’est pas peu dire, on est complètement sous le charme. Surtout, ce qui frappe, Video Game, Lamentations, Tell Me You Love Me le confirment, c’est l’étonnante limpidité et sobriété de l’ensemble. Bien sûr, on pourrait détailler les strates sonores, l’enchevêtrement des boucles, les interventions millimétrées des choeurs, mais l’essentiel n’est pas là. Sur « The Ascension », Sufjan Stevens enchaîne les morceaux à l’évidence pop bluffante, sans chercher de constantes ruptures de rythme et de ton, sans bifurcations. Même quand on glisse vers une structure plus ouvertement expérimentale sur Die Happy, la fluidité est toujours de mise, on baigne dans une ambiance en mid tempo, où la sérénité n’est peut-être qu’illusoire mais enveloppe l’auditeur et le rend réceptif à toutes les inflexions du disque. La montée en puissance d’Ativan et son final de cordes élégiaque, l’étonnante dynamique quasi-instrumentale d’abord de Sugar avant que le chant reprenne ses droits pour une mélodie diaphane, jamais on ne décroche. C’est d’autant plus un tour de force que tout cela est, d’une certaine façon, en trompe l’oeil. Car Sufjan Stevens a voulu un album avec une quasi-totale uniformité de rythme, au risque d’engendrer la monotonie, pour dire son désarroi. Toujours aussi tourmenté, le songwriter évoque, au travers de ce caractère « atone » sa perte de foi, son incapacité à trouver un sens à la vie. Et puis, pour clôturer l’album, Sufjan Stevens laisse d’abord quasiment tout de côté, hormis un petit accord d’orgue minimal, pour trousser de sa voix un splendide moment de dépouillement bouleversant avec The Ascension où il dévoile toutes ses désillusions, et enchaîne, comme déjà mentionné, sur les 12 minutes d’America, pour régler sans coup férir son compte à un pays capable du pire.
Au final, « The Ascension » est un disque qui ne séduira certainement pas les rétifs à l’univers de Sufjan Stevens, n’emballera pas forcément tous ceux qui l’écouteront avec un peu de distance. Ce n’en est pas moins une oeuvre capitale, car rarement on aura écouté un album aussi désabusé sur le fond en étant captivé par un sentiment de bien-être. Mais le secret, c’est que si Sufjan Stevens doute de beaucoup de choses, même s’il ne l’avouera jamais, il garde une foi inébranlable dans le pouvoir des chansons et de la musique. C’est bien l’essentiel.
- Publication 1 244 vues29 septembre 2020
- Tags Sufjan StevensAsthmatic Kitty
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Tracklist
- Make Me An Offer I Cannot Refuse
- Run Away With Me
- Video Game
- Lamentations
- Tell Me You Love Me
- Die Happy
- Ativan
- Ursa Major
- Landslide
- Gilgamesh
- Death Star
- Goodbye To All That
- Sugar
- The Ascension
- America